Le président malien Ibrahim Boubacar Keita a annoncé sa démission, celle de son gouvernement, ainsi que la dissolution de l’Assemblée nationale, après un coup d’État mené par des officiers supérieurs maliens. Pour décrypter l’origine du mécontentement au sein de l’armée, nous recevons Marc-André Boisvert, chercheur indépendant et fin connaisseur de l’armée malienne.

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RFI : Marc-André Boisvert, est-ce que vous êtes surpris par cette incursion de l’armée dans la crise malienne ?

Marc-André Boisvert : Ce qui est vraiment étonnant, c’est que cela arrive aujourd’hui. Ça fait quelques semaines, qu’il y a quelques troubles sociaux à Bamako et le fait que cela arrive à ce moment-ci, c’est assez surprenant. Ce qui est moins surprenant, c’est que cela fait quand même quelques semaines qu’on sent un peu la tension au sein des forces armées maliennes, notamment pour des questions de soldes, mais aussi toute la pression accumulée depuis 2012, vis-à-vis du combat. Donc aujourd’hui, ce qu’il faut voir, c’est qu’il y a beaucoup de frustrations. Cela fait longtemps que l’on entend parler de ces frustrations et aujourd’hui, c’est un peu l’aboutissement de tout cela. Il y a un ras-le-bol, on veut discuter, on veut faire avancer nos conditions…

Qu’est-ce qui alimente le plus cette frustration ?

Visiblement, le problème de soldes impayés et le fait que jamais l’armée malienne n’a été aussi mobilisée au front. Il y a plusieurs promesses qui, en 2012, ont été faites aux soldats pour qu’ils retournent dans les casernes, au niveau des conditions de vie, notamment et qui reste à réaliser… De plus en plus, on a misé sur quelques corps d’élite pour défendre le Nord. Donc, évidemment, certaines personnes sont plus favorisées que d’autres, montent plus rapidement. Cela crée des frustrations.

L’autre élément, c’est aussi – je ne sais pas si vous vous en souvenez – en 2012, on avait établi « la prime Sanogo » après le putsch. C’est une prime qu’on donnait aux soldats pour aller au front. On la surnommait ainsi, car c’est une revendication des putschistes qu’ils ont réussi à obtenir. Plusieurs soldats ont commencé à la toucher et pour beaucoup d’autres, le reste des conditions de vie n’ont pas suivi. Le salaire de certains soldats reste assez bas, malgré un coût de la vie qui a augmenté.

Vous parliez du front… On a beaucoup reproché à IBK son silence, après des attaques jihadistes qui avaient provoqué de lourdes pertes chez les militaires. Est-ce que la façon dont le politique a géré le militaire dans la crise jihadiste a pu contribuer à fragiliser ces légitimités vis-à-vis de l’armée ?

C’est évidemment un point important. On fait face à une guerre de long feu, où, garder le moral est vraiment primordial. Au sein des forces armées, cela fait quand même plusieurs années, surtout depuis 2015, où le nombre de décès au sein des militaires ne cesse d’augmenter de façon dramatique. On a un peu l’impression qu’il n’y a pas de plan de sortie. Pour beaucoup de soldats, cela commence à être lourd. On voit une crise du moral de l’armée malienne qui augmente de plus en plus et c’est un élément important.

Tout le monde connaît des gens qui sont décédés au front et à chaque fois qu’il y a une affectation, ils ne savent pas s’ils vont revenir. Quelque part, il y a ce sentiment que le politique n’en fait pas assez pour les protéger. Les conclusions du rapport du groupe d’experts du Mali qui a été publié récemment, s’alignent un peu avec cette idée pour les soldats, que la hiérarchie n’est pas là pour les soutenir.

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Alors justement, il y a eu beaucoup de scandales de corruption au sein de l’armée malienne. Ces dernières années, il y avait le sentiment qu’une minorité s’enrichissait, tandis que le plus grand nombre allait périr au front. Est-ce que ces faits de corruption ont, là aussi, pu contribuer à créer des incompréhensions entre le politique et l’armée ?

Inévitablement, dès qu’il y a un sentiment d’inégalité, parfois plus que les inégalités elles-mêmes, ce sentiment qu’il y a de la corruption détruit complètement une cohésion, qui est nécessaire pour faire face à la crise actuelle. Ce que je perçois de plus en plus au niveau de cette corruption, c’est qu’avant 2012 il y a toujours eu de la corruption au Mali. Mais maintenant, avec le fait que les fonds alloués aux forces armées ont drastiquement augmenté depuis 2012, on voit l’enrichissement de certaines personnes de plus en plus évident, notamment certaines figures politiques. Pour les soldats, c’est extrêmement déprimant.
Les soldats disent qu’avant 2012, il y avait beaucoup de corruption dans l’armée malienne, mais tout le monde en profitait. Le chef distribuait à ses troupes. Il y avait ce sentiment que cette corruption était un peu plus juste. Maintenant, quand les soldats parlent de corruption, ils disent qu’il y a une élite, qu’il prend tout le butin et ne partage pas.

En 2012, lors du coup d’État qui avait conduit à la prise de pouvoir du capitaine Sanogo, ce sont des sous-officiers qui avaient dirigé le mouvement. Cette fois-ci, les figures qui émergent sont celles d’officiers. Est-ce que cela change quelque chose ?

Déjà cela nous laisse penser que les choses risquent d’être un peu plus contrôlées. En 2012, à chaque fois que je rencontrais des putschistes, la première chose qu’ils signalaient d’une façon ou d’une autre, c’est leur propre surprise sur la façon dont les choses se sont passées… Je pense qu’en 2012, quand les putschistes sont arrivés au pouvoir, ils n’ont jamais réellement eu l’intention de faire un coup d’État. Ils ont plus cueilli le pouvoir qu’ils ont trouvé sur le paillasson de Koulouba, quand ils sont rentrés.

Je pense aussi que les officiers savent très bien qu’ils ne peuvent pas – face aux conditions présentes au Mali et face à la pression internationale, notamment le coup d’Etat de 2012, qui été un échec sur toute la ligne au niveau de la diplomatie -, les officiers savent très bien que, si jamais ils décident de faire un coup, cela risque d’être très temporaire et de n’apporter aucun avantage pour eux.