Le président français Emmanuel Macron a, dans une interview accordée hier à l’hebdomadaire Jeune Afrique, affirmé que : « Le président Condé a une carrière d’opposant qui aurait justifié qu’il organise de lui-même une bonne alternance. Et d’évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C’est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations. Je pense que la situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique et pour son avancée ».
Dans la même veine, il estime que le président guinéen ne mérite pas ses félicitations parce qu’il a changé la constitution de son pays « uniquement pour garder le pouvoir » et ainsi s’offrir lui aussi un 3ème mandat. Mais paradoxalement, et dans le même temps, le même personnage félicite chaleureusement Ouattara pour son 3ème mandat, et critique subrepticement le même processus ayant abouti à un 3ème mandat en Guinée.
Le président français cherche à viser, en réalité, le régime du Président Guinéen Alpha Condé qui, depuis son accession à la magistrature suprême a rompu avec ce que l’on appelait arrogamment le « Pré-carré français » en impulsant une politique étrangère fondée sur le multilatéralisme et du partenariat win-win dans l’exploitation des ressources minières en ouvrant son pays et en accordant la part belle à des pays comme la Chine, la Turquie, la Russie et dans une moindre mesure les États-Unis. Cette indépendance prônée par la Guinée ne passe visiblement pas auprès de la France qui considérait détenir un droit de préférence.
Cette attitude contradictoire ou la diplomatie de caméléon, qui consiste à avoir des lectures différentes sur les mêmes situations, de la France vis-à-vis des États africains est aujourd’hui démasquée par l’opinion publique africaine de plus en plus abreuvée aux dessous des relations internationales. La France joue bien là le jeu du deux poids et de deux mesures.
Si la France a bien approuvé le Président de Côte d’Ivoire dans sa démarche de changement de Constitution, c’est bien parce que celui-ci est un bon élève de la France. Il a donné tout à la France. Et il continue de donner tout à la France. Il donne les plus importantes richesses de la Côte d’Ivoire à la France. Les intérêts économiques français sont sécurisés, préservés et les intérêts géostratégiques protégés dans la région.
Par contre, le Président guinéen Alpha Condé dénonce de manière véhémente l’attitude arrogante de la France en Afrique, à chaque fois que l’occasion lui est donnée.
En affirmant que le président Ouattara voulait absolument transmettre le pouvoir à une nouvelle génération, par le truchement de son dauphin désigné, mais que le décès de ce dernier constituait une situation exceptionnelle qui a justifié son 3ème mandat. C’est avoir une conception monarchique de la dévolution du pouvoir dans un pays pourtant républicain. Emmanuel Macron étale non seulement toute son incohérence, guidée certes par des intérêts, mais par ce biais il affirme à ceux qui en doutaient encore, que les peuples dans les pays contrôlés par la France ne sont que des pions dans le choix de leurs dirigeants politiques, un pion qu’on utilise à la dernière étape de la chaîne.
« La France n’a pas à donner de leçons. Notre rôle, c’est d’en appeler à l’intérêt et à la force qu’a le modèle démocratique dans un continent de plus en plus jeune. L’Afrique a intérêt à construire les règles, les voies et les moyens pour avoir des rendez-vous démocratiques réguliers et transparents.
L’alternance permet la respiration. Elle est aussi le meilleur moyen de permettre l’inclusion dans la vie politique et de lutter contre la corruption, qui est le pendant d’une conservation trop longue du pouvoir. Ce ne sont pas des leçons, c’est du bon sens. Après, ce n’est pas à moi de dire : « La Constitution doit prévoir x ou y mandat ».
En analysant cet autre pan du propos du président Macron, la conservation longue du pouvoir dans certains pays est vertueuse et relèverait du bon sens à ses yeux. Par contre, dans d’autres pays, elle serait synonyme de recul démocratique et d’atteinte à l’alternance. L’ambivalence à son niveau le plus extrême.
Dans sa tentative périlleuse de justifier la passe de 3 de son soldat Ouattara, Macron crée un concept qui pourrait profiter dans les prochains mois à bien des présidents africains qui ont déjà effectué plus de 4 mandats consécutifs à la tête de leur pays et qui caressent encore le rêve de rempiler : « je pense vraiment qu’il s’est présenté par devoir. Dans l’absolu, j’aurais préféré qu’il y ait une autre solution, mais il n’y en avait pas. »
Ce nouveau concept de candidature « par devoir » selon lequel un chef d’Etat peut invoquer une circonstance exceptionnelle pour justifier une candidature même anticonstitutionelle. Et pourquoi la pandémie de coronavirus actuellement en cours ou le terrorisme ne constitueraient-ils pas demain des raisons pour justifier son maintien à la tête de son pays ?
C’est le open-bar pour les présidents comme Idris DEBY du Tchad, Sassou Nguesso du Congo et Paul Bya du Cameroun où chacun de ces présidents a déjà fait plus de 3 mandants et dans lesquels États des élections présidentielles doivent avoir lieu très prochainement. Le moment venu, la « candidature par devoir » sera au rendez-vous de la diplomatie chancelante française pour justifier l’injustifiable ou pour mieux défendre les intérêts français sur le continent.
En réalité, Emmanuel Macron dans sa sortie, cache mal les lacunes de sa diplomatie du tâtonnement vis-à-vis de l’Afrique francophone, une diplomatie pleine d’hypocrisie et d’arrogance.
Par Alexandre Naïny BERETE