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Nucléaire civil : du Burkina Faso à l’Égypte, quelle influence russe en Afrique ?

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Sur cette photo fournie par l’agence RIA Novosti, le président russe Vladimir Poutine s’exprime lors d’une réunion avec une délégation de dirigeants africains et de hauts fonctionnaires à Saint-Pétersbourg, en Russie, le samedi 17 juin 2023.

L’agence nucléaire russe Rosatom a signé un accord de construction d’une centrale nucléaire au Burkina Faso vendredi 13 octobre, en plus d’annoncer le même jour un accord de coopération pour développer le nucléaire civil au Mali. Cette stratégie économique de la Russie permet au pays de développer son influence sur le continent. Cette opportunité pour l’Afrique est aussi un rêve pour l’instant inaccessible.

Un accord de construction d’une centrale au Nigeria en 2017, un accord sur le nucléaire civil au Soudan en 2018, un projet de centre de recherche sur le nucléaire au Rwanda en 2019, etc. En l’espace de quelques années, l’agence nucléaire russe Rosatom a noué des partenariats nucléaires avec une dizaine de pays africains. L’Égypte est le plus avancé d’entre eux avec un accord signé en 2015 et une livraison de 4 réacteurs nucléaires prévus pour 2026 dans la commune d’El-Dabaa, à 300 kilomètres du Caire.

Lorsque la mise en service sera effective, ce pays d’Afrique du Nord deviendra le deuxième Etat du continent à posséder une centrale. Seule l’Afrique du Sud en a une depuis 1984 et elle est opérée par la société nationale locale.

L’annonce de construction d’une centrale nucléaire au Burkina Faso vendredi 13 octobre par la Russie est une opportunité, explique Emmanuelle Galichet. Les deux pays ont signé un mémorandum à l’occasion de la Semaine russe de l’énergie qui se tenait à Moscou du 11 au 13 octobre. L’enseignante-chercheure en physique nucléaire au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) à Paris poursuit : “Le pays ne produit pas assez d’électricité. Il doit sortir du sous-développement et le pouvoir politique se tourne vers les énergies qu’il peut”. Près de 80 % des plus de 700 millions de personnes sans électricité dans le monde se trouve en Afrique.

L’intérêt est d’aussi développer les énergies décarbonées. Développer le nucléaire permettra aussi au Burkina Faso “de sortir de la pauvreté. La haute technologie est une solution sûre pour un pays”, précise Emmanuelle Galichet.

Une perte de souveraineté

“Le nucléaire donne une assise importante. Les pays qui comptent réellement dans le monde sont ceux qui l’ont”, note également l’enseignante-chercheure. Mais accéder au nucléaire a un coût conséquent que le Burkina Faso ne peut pas actuellement s’offrir. Le PIB du pays en 2020 s’élève à 15 milliards d’euros, soit environ le prix brut d’une centrale nucléaire à réacteur à eau pressuré, selon les estimations de Lova Rinel.

La chercheure associée à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris et membre de la Commission de régulation de l’énergie, estime que le coût primaire, incluant la construction d’infrastructures type routes et logements indispensables au fonctionnement de la centrale atteint les 30 milliards d’euros pour 15 ans de travaux. Le coût et le temps total sont encore plus élevés s’ils incluent la formation d’ingénieurs, l’acheminement et le transport sur des lignes à haute tension, etc. “Il faut 1 400 ouvriers qualifiés pour construire une centrale. Sauf qu’il n’y en a pas un seul au Burkina Faso et il faut compter 20 ans pour en former”, ajoute Emmannuelle Galichet

Le capitaine Ibrahim Traore du Burkina Faso et Vladimir Poutine

Le capitaine Ibrahim Traore du Burkina Faso, à gauche, et le président russe Vladimir Poutine se serrent la main avant la cérémonie officielle d’accueil des chefs de délégation au sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, en Russie, le jeudi 27 juillet 2023.

Sergei Bobylev/TASS Host Photo Agency Pool Photo via AP

Si aucune information n’a été donnée sur les moyens de financement, plusieurs solutions existent. En Égypte, la Russie finance par un prêt 85 % des 25 milliards d’euros d’investissement dans la construction de cette première centrale nucléaire du pays. Le pays nord-africain commencera le remboursement de sa dette après l’ouverture de la centrale. En Turquie, les premiers réacteurs sont entièrement financés par l’agence nucléaire russe Rosatom, qui en échange l’exploitera jusqu’à sa fermeture, en plus d’en tirer des bénéfices.

Le risque au Burkina Faso d’un financement russe est “la perte de souveraineté sur l’énergie. La Russie maîtrisera une partie du réseau électrique et possédera indirectement le pays”, explique Lova Rinel.

“Attention aux effets d’annonce”

“La Russie à l’heure actuelle essaye de renforcer son influence dans l’Ouest de l’Afrique”, note David Teurtrie, spécialiste de la Russie et chercheur associé au Centre de Recherches Europes-Eurasie. Rosatom est le principal exportateur de centrales nucléaires au monde. Avec ses 25 projets actuellement en cours, il devance respectivement la Chine (18), l’Inde (4) et la Corée (4).

Vladimir Poutine

Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors d’une session plénière de la Semaine russe de l’énergie au Manezh Central Exhibition Hall à Moscou, le mercredi 11 octobre 2023.

Kristina Kormilitsyna, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP

Selon le chercheur, le projet de la Russie cherche aussi à tracer de nouvelles perspectives pour conserver dans son giron les régimes actuels et suivants en Afrique. “Le pouvoir russe souhaite aller au delà de sa présence militaire pour dire : ‘on va contribuer à votre développement régional’. Le pays doit crédibiliser sa présence sur le continent”. La chercheure Emmanuelle Galichet explique également que le nucléaire est “l’atout principal de la Russie dans son expansion mondiale. La stratégie est politique avant d’être industrielle”.

“Attention aux effets d’annonce”, alerte Lova Rinel. Selon la chercheure associée au FRS, ces accords permettent à la Russie d’accroître son influence à moyen terme et à moindre coût dans ces pays. Pour ces derniers, ça leur offre également la possibilité de faire “un pied de nez à l’Occident, et surtout la France”. La chercheure ajoute : “Ces annonces n’auront aucun effet sur les 10 prochaines années minimum”.

Source : TV5 monde