Beny Steinmetz, lors de l’ouverture de son procès le 11 janvier 2021.

Le procès du milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz s’est ouvert lundi 11 janvier à Genève. Avec deux anciens partenaires, Frédéric Cilins et Sandra Merloni-Horemans, il est accusé de corruption et de faux dans les titres dans le cadre des contrats miniers du Simandou en Guinée.

« Votre nom, s’il vous plaît Monsieur ? ». « Steinmetz, Benjamin ». L’homme en long manteau noir qui se présente à la porte de la salle d’audience numéro trois du tribunal correctionnel de Genève, ce 11 janvier peu avant 9 heures du matin, ne s’attendait sans doute pas à devoir décliner son identité aussi vite. Les préposés à l’entrée de la salle se rendent d’ailleurs vite compte du caractère incongru de leur question. « C’est le prévenu », glisse, un brin moqueuse, une employée du tribunal à l’oreille de son collègue, sans doute mal réveillé malgré le froid matinal des rives du lac Léman.

Il faut dire que « le prévenu » en question sait être discret. Quelques photographes se sont postés devant l’entrée du palais de justice, et une dizaine de journalistes patientent dans la cour intérieure, en gardant leurs distances les uns des autres. Beny Steinmetz arrive seul, s’engouffre dans la salle numéro trois, échange quelques mots avec son avocat principal, Marc Bonnant, lequel fume une dernière cigarette. Il y a quelques jours, contacté par Jeune Afrique, le ténor suisse du barreau, nous avait prévenus : la première journée d’audience pourrait être « violente ». Pas question de la manquer.

Devant une assistance d’une trentaine de personnes – un effectif très réduit pour un procès si médiatique, Covid-19 oblige -, l’avocat à la crinière blanche est d’ailleurs le premier à s’exprimer, exposant en premier lieu les questions préjudicielles, lesquelles pourraient provoquer un renvoi du procès. Selon Marc Bonnant et la défense de Beny Steinmetz, le procureur ayant enquêté dans cette affaire – Claudio Mascotto (remplacé depuis par Yves Bertossa et Caroline Babel Casutt,) aurait eu une « vision partisane, sélective, truquante et truquée ». Et de sous-entendre, minute après minute, que ce procureur « pas intègre » aurait pu passer des accords douteux avec les autorités israéliennes et/ou américaines, dont les justices ont toutes deux collaboré avec le tribunal de Genève.

Beny Steinmetz et… George Soros

« Qui a payé les voyages de Monsieur Mascotto en Israël ? Est-ce les autorités d’Israël ? Est-ce George Soros, dont on sait qu’il a pu financer des batailles contre Beny Steinmetz ? », s’interroge encore Me Bonnant, qui appelle alors à « purifier le dossier de ses souillures mascottiennes ». Le procès est lancé. La défense du milliardaire franco-israélien enfonce le clou. Elle demande que soient écartés de la procédure les témoignages de deux témoins-clés ayant livré des éléments sur le pacte de corruption supposé reproché à Beny Steinmetz : ceux de la Guinéenne Mamadie Touré (quatrième épouse du président Lansana Conté, désormais établie aux États-Unis) et de l’homme d’affaires israélien Ofer Kerzner.

« Ces témoignages ne sont pas crédibles et sont inexploitables. Ils devraient être ignorés car ils ont été obtenus vraisemblablement grâce à des promesses d’immunité », explique la défense du magnat du diamant, pour qui Touré et Kerzner auraient dû également être mis en prévention, la première pour avoir accepté les dessous-de-table, le second pour avoir créé de fausses pièces. « Ces témoins n’ont-ils pas tout intérêt à raconter des mensonges pour s’en sortir ? », interrogent encore les avocats du principal accusé.

Conclusion aussitôt reprise par les défenseurs des deux autres prévenus, l’homme d’affaires français Frédéric Cilins et l’administratrice de société belge Sandra Merloni-Horemans, également soupçonnés de « corruption » et de « faux dans les titres ». Selon l’acte d’accusation, ils auraient apporté leur aide et leur savoir-faire à Beny Steinmetz pour créer un montage de sociétés-écrans, de transactions fictives et de prestations fantômes visant à dissimuler un pacte de corruption autour de l’attribution en Guinée de permis miniers dans la région du Simandou. La Guinée, un temps partie civile, a retiré sa plainte, à la suite d’un accord passé avec Steinmetz.

Un dossier de quatre millions de pièces

Mais le dossier d’accusation, qui comprend plus de quatre millions de pièces, n’a pas disparu. Et le ministère public suisse est bien décidé à aller au bout de ce procès et à prouver l’existence de dix millions de dollars de pots-de-vin qui auraient été versés entre 2006 et 2012. « De qui se moque-t-on ?, tonne le premier procureur Yves Bertossa, en clôture de l’audience matinale. Les arguments de la défense ne sont pas nouveaux. Depuis des années, tous ceux qui se mettent en travers du chemin de Beny Steinmetz sont attaqués ! Quelle énergie à vouloir retrancher des pièces au dossier ! »

OUI, DANS UN MONDE IDÉAL, IL Y AURAIT EU D’AUTRES ACCUSÉS. »

« Toutes les pièces ont été validées et sont licites, poursuit le magistrat, citant les voyages de son prédécesseur en Israël et aux États-Unis. Bien sûr, il faut être prudent avec les témoignages [de Mamadie Touré et d’Ofer Kerzner], mais ils ne sauraient être écartés ». Bertossa conclut : « Oui, dans un monde idéal, il y aurait eu d’autres accusés. Mais, à un moment, le ministère doit savoir faire des choix ». Deux heures plus tard, dans la même salle numéro trois, la présidente du tribunal ordonne la reprise de l’audience. En quelques minutes, elle rejette les questions préjudicielles développées par la défense de Steinmetz, Cilins et Merloni-Horemans.

Personne ne semble surpris. Beny Steinmetz affiche un visage impassible, prenant des notes de temps à autre, glissant quelques mots à l’oreille de ses avocats. Derrière lui, Frédéric Cilins ne montre guère plus de signes de nervosité. L’après-midi est consacrée à l’interrogatoire de la troisième prévenue. Selon l’acte d’accusation, Sandra Merloni-Horemans – qui a commencé à travailler à Anvers avec le père de Beny Steinmetz en 1994 – aurait contribué, depuis Genève, à créer et à administrer la plupart des sociétés utilisées dans le projet minier de Simandou et potentiellement impliquées dans le supposé « pacte de corruption ».

« Si j’avais su, j’aurais posé plus de questions »

Pendant près de cinq heures, cette femme de cinquante ans a répondu aux questions de la présidente du tribunal. Création de sociétés, bonus distribués, restructurations, transactions opaques, signature de documents, participation à des réunions… Aux interrogations précises, Sandra Merloni-Horemans oppose de temps à autre une mémoire défaillante – une partie importante des faits s’étant déroulée il y a quinze ans. Elle assure surtout avoir suivi les « conseils » ou les « directives » d’administrateurs mieux placés qu’elle dans la galaxie de Beny Steinmetz Group Resources (BSGR). « Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, j’aurais posé plus de questions avant de signer certains documents. Et je ne serai sans doute pas ici aujourd’hui », assure-t-elle.

Quel était le rôle exact de la société Pentler, dirigée par Frédéric Cilins, Michael Noy et Avraham Lev Ran, et qui était détentrice de 17,65% de BSGR Guinée ? Servait-elle également à rémunérer Mamadie Touré, via la société Matinda, à qui 5% de BSGR Guinée aurait été cédé ? Si oui, pour quel motif et comment ces rémunérations supposées étaient-elles justifiées ? Ces opérations ont-elles été dissimulées au groupe brésilien Vale, à qui BSGR a revendu 51% de la mine de Simandou en 2010 pour le faramineux montant de 2,5 milliards de dollars ? Autant de questions sans réponse.

« Je ne demandais pas d’explications. […] Concernant Mamadie Touré, je n’ai pas lu les protocoles d’accord. […] BSGR était une petite équipe très professionnelle à qui je faisais entièrement confiance. […] J’ai manqué de curiosité, mais le groupe est impliqué dans tellement de projets qu’il est impossible de tous les connaître », conclut Sandra Merloni-Horemans. Alors que la journée touche à sa fin, les procureurs reprennent la parole. Et, très vite, la véritable interrogation, qui plane sur les audiences depuis leur ouverture, apparaît : Beny Steinmetz était-il au courant des créations de sociétés, accords de joint-ventures et autres cessions d’actifs ? « Il n’était à ma connaissance pas au courant », tranche Sandra Merloni-Horemans, qui affirme qu’elle ne parlait au diamantaire franco-israélien que rarement, et « la plupart du temps pour évoquer sa collection d’art et son appartement à Genève ».

« Alors, Madame, pourquoi avez-vous été invitée au mariage de sa fille ? », interroge, piquante, la présidente. « Fin août 2007, vous avez participé à un conseil d’administration du groupe de Beny Steinmetz, en sa présence, à Guernesey [dans les îles Anglo-Normandes], rappelle le ministère public. C’était six semaines seulement après la signature de l’accord entre Pentler et BSGR Guinée. Et vous nous dites que vous n’en avez pas parlé ? » « Je ne vois pas pourquoi j’aurais mentionné ce dossier. Il y avait beaucoup de monde et, à l’époque, la Guinée était un tout petit contrat », répond l’ancienne administratrice de sociétés, aujourd’hui installée en Italie avec sa famille. L’audience se termine. Reprise prévue le 12 janvier à 9 heures pour entamer les interrogatoires de Frédéric Cilins et Beny Steinmetz. Un moment-clé, déjà, dans un procès qui, selon la défense, pourrait durer deux semaines.

Jeune Afrique