C’est un déplacement historique pour Emmanuel Macron, qui se rend ce jeudi 27 mai à Kigali. Il est seulement le deuxième président français à faire le voyage au Rwanda depuis le génocide des Tutsis en 1994. Après avoir longtemps entretenu des relations orageuses, les deux pays se sont rapprochés ces trois dernières années. Le programme du chef d’État s’annonce chargé dans la capitale. Beaucoup de Rwandais espèrent des excuses de la France après les événements de 1994.
Avec notre envoyé spécial à Kigali, Pierre Firtion
Jeudi 26 mai, avant de s’envoler vers le Rwanda, Emmanuel Macron a confié sa « conviction profonde » à propos de sa visite : le président français est convaincu qu’une « page nouvelle de notre histoire avec le Rwanda et l’Afrique » va s’écrire. À Kigali, il donnera une conférence de presse avec Paul Kagame, avant un entretien et un déjeuner entre les deux hommes.
Mais le temps fort de cette journée a lieu en milieu de matinée, avec la visite du mémorial du génocide de Gisozi. Construit à partir de 1999, ce mémorial a été inauguré cinq ans plus tard. À l’extérieur, sous d’imposantes dalles de béton, sont enterrées plus de 250 000 de personnes.
À l’intérieur, un musée retrace l’histoire du génocide des Tutsis. De la montée de la haine aux massacres, photos et vidéos racontent l’horreur vécue au printemps 1994. Quelques clichés rappellent aussi le soutien français apporté au pouvoir de l’époque. Et pour le guide Serge Rwigamba, pas de doute : « La France a joué un rôle de responsabilité. »
« Il y a besoin de mettre des mots sur le rôle exact de la France »
À l’issue de cette visite, Emmanuel Macron tiendra un discours très attendu. Va-t-il présenter des excuses, comme l’ont fait par le passé les États-Unis, la Belgique, les Nations unies ou l’Église catholique ? La question reste pour l’heure en suspens. Son entourage entretient d’ailleurs savamment le mystère.
Ce que l’on sait, c’est que le président devrait prononcer un discours d’une vingtaine de minutes. Une intervention pour laquelle il a, dit-on, beaucoup consulté, notamment des intellectuels africains. Son message s’adressera aux victimes du génocide des Tutsis et aux rescapés. « Il y a besoin de mettre des mots sur le rôle exact de la France dans cette période allant de 90 à 94 », explique un conseiller du président français.
Ce désir se ressent particulièrement au sein d’Ibuka Rwanda, la principale organisation de rescapés du génocide. Egide Nkuranga, son président, confie à Laure Broulard : « Il pourra peut-être demander pardon au nom de la France. (…) C’est tout ce qu’on attend. Et le reste, ça va continuer ». Le « reste », c’est la quête de justice : les rescapés veulent que la poursuite des génocidaires réfugiés en France s’accélère et que le rapport Duclert serve de base à d’éventuelles plaintes contre des responsables français de l’époque.
La commission Duclert a bouleversé la donne
En 2010, alors qu’il était en visite au Rwanda, Nicolas Sarkozy avait reconnu de « graves erreurs d’appréciation » de la part de la France, « des erreurs politiques » et une « forme d’aveuglement ». Freddy Mutanguha, le directeur du mémorial de Gisozi, lui avait montré des images du soutien français à l’ancien régime de Juvénal Habyarimana. « Il a écouté mais n’a pas fait de commentaires », se souvient-il.
Emmanuel Macron ira-t-il plus loin ? Tout porte à le croire, car entretemps, la donne a changé : la commission d’historiens présidée par Vincent Duclert a récemment conclu à des responsabilités lourdes et accablantes de Paris dans le génocide des Tutsis.
Quoi que le président française dise – ou ne dise pas –, le sénateur André Twahirwa salue au micro de Laure Broulard un grand pas pour les deux pays : « Cette visite, en soi, suffirait. Elle n’est pas que symbolique. À ce niveau-là, une visite vaut un acte politique. Je crois que c’est vraiment une grande étape. C’est la fin d’un processus de médiation et le début d’un processus de coopération dans tous les domaines. »
Freddy Mutanguha loue également les grands pas accomplis par Paris et Kigali, mais espère quand même que des excuses seront formulées ce jeudi par le président français : « Ce serait une bonne chose. » Toutefois, si des excuses ne viennent pas maintenant, le directeur du mémorial espère qu’elles seront présentées dans le futur.
Avec RFI