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Richesses africaines au cœur des convoitises de l’économie chinoise [1ère partie] (Par Youssouf Sylla)

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Grace au dynamisme de son économie, la Chine est présentée par Patrick Allard dans « États-Unis / Chine : le choc des puissances économiques », « comme la principale puissance commerciale mondiale, avec des exportations et des importations passant de moins de 1 % des flux mondiaux en 1980 à respectivement 11 % et 9 % en 2017. Elle est devenue la principale importatrice de matières premières, notamment le pétrole, le minerai de fer, le cuivre, etc. Elle occupe également le deuxième marché mondial pour les biens d’investissement en capital fixe, après l’Union européenne mais devant les États-Unis. Elle est devenue le principal marché pour les véhicules particuliers». Avec de tels atouts, la Chine inquiète les Etats unis dont l’économie pourtant surplombe l’économie mondiale selon les experts. Toutefois, elle est « désormais qualifiée de rivale stratégique dans les documents officiels de l’administration américaine » selon les mots d’Isabelle Ramdoo dans son article « L’Afrique des ressources naturelles ». Outre le fait que l’Afrique représente un marché pour les produits chinois, elle regorge aussi selon la même auteure, d’immenses matières premières vitales pour la production industrielle chinoise.

Ces richesses font du continent un espace d’enjeu géopolitique pour les puissances extérieures, y compris la Chine. Isabelle Ramdoo considère que « depuis le début du 21ème siècle, les investissements chinois et le flux commercial avec Afrique ont explosé. La méthode chinoise consiste à utiliser sa diplomatie comme catalyseur pour ouvrir les portes pour ses entreprises privées, tout en y associant des aides et des prêts publics pour des projets d’infrastructures, dont l’exécution est souvent confiée à ses entreprises publiques. Dans certains cas, le montage financier a été décrié, car le remboursement se fait en ‘nature’, et en particulier en matières premières».

Un tel montage a été mis en place entre la Guinée et la Chine à l’occasion de la signature entre les deux d’un accord cadre de prêt portant sur un montant de 20 milliards de dollars pour les 20 prochaines années. L’accord prévoit qu’« en contre partie du financement chinois destiné à la réalisation d’infrastructures, la guinée va assurer aux entreprises chinoises des concessions minières afin de rembourser le prêt».

L’Afrique francophone au cœur du gigantesque projet chinois « une ceinture, une route »

Grace à sa capacité d’anticipation de l’évolution de l’économie internationale, la Chine est porteuse d’un projet planétaire ayant pour objectif de relier son économie au reste du monde, y compris l’Afrique à travers l’initiative lancée en 2013 par son président Xi Jingping, « une ceinture, une route ».

Cette initiative est fondée sur cinq principes : ouverture et coopération, harmonie et inclusion, opération basée sur les marchés, bénéfice mutuel pour les pays participants et absence d’interférences dans les affaires politiques internes. Selon un document produit par l’Observatoire des politiques économiques en Europe de l’université de Strasbourg, l’objectif de ce projet «est de promouvoir le développement économique régional à très grande échelle et la prospérité conjointe via des coopérations mutuellement bénéfiques. Sa réalisation se traduit par la construction d’un nombre important d’infrastructures (routes, chemins de fer, ports, aéroports, centres logistiques, oléoducs, gazoducs, réseaux de câbles de télécommunication) suivant un schéma cohérent et en complément des réseaux existants. Elle donne lieu à la création, pour les pays en quête de décollage économique, de zones économiques et commerciales spéciales dont certaines sur le modèle qui a donné naissance à Shenzhen, à l’instauration d’un cadre juridique et institutionnel favorisant les investissements directs et les échanges commerciaux dans les pays participants, et à une stimulation des échanges culturels et scientifiques».
Cette initiative touche déjà l’Afrique francophone à travers le Sénégal. Diverses raisons expliquent le choix porté sur le Sénégal. La toute première raison est la fidélisation d’un pays instable dans sa relation avec la Chine. En 1960, le Sénégal reconnait la Chine avant de changer d’avis en 1971. Aussi en 1995, il renoue avec Taiwan avant de normaliser ses relations une nouvelle fois avec la Chine en 2005. A compter de cette date, la Chine est devenue le deuxième partenaire économique du Sénégal après l’Union européenne. Les autres raisons et non les moindres, tiennent notamment au fait que le Sénégal est un pays qui est politiquement stable et économiquement dynamique et ambitieux à travers un projet « Plan Sénégal Emergent », cher à son président, Macky Sall. Selon un texte publié par l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie, un centre d’étude francophone, basé en Ile de France, la chine « considère le Sénégal comme une porte d’entrée vers la région de l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal est stratégiquement situé à l’intersection de l’Afrique subsaharienne et saharienne, et le port de Dakar est l’un des ports maritimes les plus grands et les plus efficaces le long de la côte ouest africaine. Le nouvel aéroport de Dakar, inauguré en décembre 2017, rivalise avec celui d’Abidjan et deviendra un hub de transport régional».
Ce grand projet chinois, bien que bénéfique pour le développement des infrastructures sur le continent africain et de son commerce avec l’extérieur, soulève néanmoins quelques inquiétudes qui peuvent être surmontées si les pays appliquent les meilleures pratiques de gestion, comme celles formulées par Ceyla Pazarbasioglu, vice-présidente, « Croissance équitable, finance et institutions » de la Banque mondiale. Elle estime que «les pays participants devront entreprendre des réformes tout aussi ambitieuses. Il sera particulièrement important d’améliorer la communication et la transparence des données, notamment en ce qui concerne la dette et la commande publique, et de se conformer aux normes sociales et environnementales les plus exigeantes ».

Selon un Rapport de la Banque mondiale sur le projet chinois, sa réalisation intégrale « pourrait faire reculer la pauvreté modérée (soit un seuil de 3,20 dollars par jour) au profit de 32 millions de personnes. L’étude estime également que les échanges commerciaux pourraient augmenter de 6,2 % à l’échelle mondiale, et de 9,7 % pour les économies traversées par les corridors de transport. Enfin, globalement, la hausse du revenu mondial pourrait atteindre jusqu’à 2,9 %. En outre, dans celles à faible revenu plus particulièrement, les investissements directs étrangers pourraient grimper de 7,6 %. Cependant, pour certains pays, le coût des infrastructures liées à l’initiative risque de l’emporter sur les gains potentiels».

Pour les pays d’Afrique francophone avec lesquels la France a des relations politico économiques, l’initiative chinoise peut être perçue avec une certaine circonspection. Car il y a dans la vision des choses par la France, une ambition de domination chinoise des pays africains qui se livreront sans précautions préalables à son initiative. Les précautions françaises par rapport à l’initiative chinoise sont aussi exprimées au niveau européen. Selon l’Observatoire des politiques économiques en Europe, l’Union européenne «ne se rallie pas pleinement à l’Initiative C&R mais est prête à coopérer de façon limitée avec la Chine pour développer la connectivité entre l’Europe et la Chine via l’Asie centrale tout en imposant un certain nombre de contraintes propres à l’UE ».

La Chine est assurément une opportunité à saisir par l’Afrique dans le cadre de la diversification de son partenariat dans le monde mais aussi de son insertion dans l’économie mondiale. Autant la Chine a besoin des matières premières de l’Afrique, autant cette dernière a aussi besoin d’elle pour développement selon un modèle de coopération diffèrent de celui de l’occident. Toutefois, il relève de la responsabilité des gouvernements africains de s’assurer que cette coopération ne se fait pas au détriment du respect des droits humains et des normes au travail, mais aussi de la nécessité vitale de protéger l’environnement.

Youssouf Sylla