En plus de dix ans de conflit dans le nord-est du Nigeria, le chef du groupe jihadiste Boko Haram Abubakar Shekau a été donné pour mort au moins cinq fois, avant de réapparaître.
Mercredi, un groupe jihadiste rival lié au groupe Etat islamique a mené une opération contre lui dans le bastion de Boko Haram, la forêt de Sambisa.
Selon des sources proches des services de renseignement, Abubakar Shekau s’est grièvement blessé en tentant de se tuer pour éviter d’être capturé.
Depuis jeudi, la rumeur de sa mort a déferlé sur les réseaux sociaux. Plusieurs médias et spécialistes de la région ont annoncé sa mort, mais il n’est pour l’heure pas possible de vérifier cette information de sources indépendantes.
– Pourquoi Shekau a-t-il été attaqué ?
Depuis 2016, deux groupes jihadistes rivaux se partagent de larges pans du nord-est du Nigeria et des localités dans les Etats voisins.
D’un côté, le groupe Boko Haram, dont l’insurrection a débuté en 2009, contrôle la forêt de Sambisa et une partie de l’Extrême-Nord du Cameroun. Il a également des cellules dans la région du lac Tchad, du côté du Niger.
De l’autre, le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) s’est établi dans la forêt de Alagarno et sur les pourtours du lac Tchad (Nigeria, Tchad et Niger).
Les deux organisations, qui formaient un seul groupe avant une scission en 2016, mènent en priorité des attaques contre les armées de la région, mais des combats sporadiques ont lieu entre elles.
Selon des sources proches des services de renseignement, de premiers affrontements entre l’Iswap et Boko Haram ont commencé en avril, au lac Tchad.
Des éléments de Boko Haram ont tendu une embuscade à des combattants d’Iswap. Des armes ont été saisies, et plusieurs membres d’Iswap tués.
En représailles, le 9 mai, l’Iswap a lancé une attaque contre un camp de Boko Haram situé sur le lac Tchad (côté Niger). Les groupes ont subi d’importantes pertes, et l’Iswap a décidé de poursuivre l’affrontement en allant attaquer Boko Haram jusque dans son bastion.
– Que s’est-il passé ?
Lundi, un convoi d’une cinquantaine de véhicules de l’Iswap venus du lac Tchad ont fondu sur la forêt de Sambisa, selon les mêmes sources.
Ils se sont dirigés vers le camp de Sabilul Huda, où Abubakar Shekau s’était réfugié avant le ramadan. Le groupe avait été récemment affaibli par des frappes de l’armée nigériane.
Les combattants ont neutralisé sa garde et encerclé sa maison. Pour éviter d’être capturé, le chef jihadiste a tenté de se suicider.
Là, les versions divergent: selon l’une des sources proches des renseignements, Shekau s’est tiré une balle dans la poitrine se blessant grièvement.
Plusieurs de ses combattants l’ont retrouvé inconscient et ont réussi à s’enfuir en l’emmenant avec eux. “Il y a peu de chance qu’il ait survécu”, avance cette source.
Une autre de ces sources affirme, elle, que le leader aurait activé des explosifs dans la maison. “Quoi qu’il en soit, Shekau peut difficilement être vivant”, assure-t-elle.
– Blessé ou mort ?
Si plusieurs sources doutent fortement que Shekau ait pu survivre à ses blessures, il n’est pour l’instant pas possible d’affirmer qu’il est mort.
Interrogé par l’AFP, le porte-parole de l’armée nigériane a simplement indiqué: “Nous sommes en train d’enquêter”.
“Seuls ses proches peuvent nous donner une information définitive sur son état”, a indiqué une source proche des renseignements.
Pour l’heure, ni l’Iswap ni Boko Haram n’ont communiqué.
Les jihadistes ont pour politique d’éviter un vide au sommet du pouvoir en nommant un successeur une fois qu’un chef meurt ou est destitué. “Le fait que Boko Haram n’ait pas nommé le successeur de Shekau est une forte indication qu’il n’est pas encore mort”, selon l’une de ces sources.
– Et après ? –
La perte de Shekau serait un coup dur pour Boko Haram dont il a été la figure centrale pendant onze ans.
L’Iswap est déjà devenu le groupe le plus puissant dans la région, montrant sa capacité à mener des attaques multiples et complexes.
La prise du fief de Shekau permettrait à l’Iswap de consolider son emprise sur le territoire et de contrôler toutes les routes menant à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno.
En outre, de nombreux éléments de Boko Haram pourraient être tentés de rejoindre l’Iswap.
“Ils sont sûrement déjà en cours de discussion. Il y a encore des inconnues, mais ce qui est clair, c’est que c’est une grande victoire pour l’Iswap”, note Vincent Foucher, chercheur au Centre français de la recherche scientifique (CNRS).
“Beaucoup se réjouissent de la mort de Shekau, mais si l’Iswap devient la seule force jihadiste dans la région, ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle”.
AFP