Les résultats des différents examens scolaires session 2020 sont désormais tous connus. Ce vendredi, 25 Septembre, les résultats du Baccalauréat Unique sont connus (44,43% de taux de réussite). Quelques semaines au paravent, respectivement les 24 Aout et 12 Septembre, les résultats de l’examen d’entrée en 7è année et du BEPC avaient été également rendus public ; soit 55,86% pour le CEE (Certificat d’Etudes Primaires) et 35,59% pour le BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle).

Si nous ne pouvons parler de catastrophe, force est de reconnaitre que ces résultats sont loin d’être le reflet d’une éducation de qualité ou qui se veut ainsi. Ils sont, plutôt, l’expression d’un naufrage sans précédent de notre système éducatif.

-Pourquoi, malgré les cas de fraudes massives et à ciel ouvert, nous n’arrivons pas à enregistrer des taux élevés de réussite aux examens scolaires ?

-Quelles sont les causes de la déliquescence à outrance de notre système éducatif ?

-Quelles en sont les conséquences et les solutions envisageables ?

Pour répondre à la première question, faisons tout d’abord un récapitulatif des pourcentages de réussite aux examens scolaires de la décennie 2010-2020 :

  1. Certificat d’Etudes Primaires (CEE)
  • Session 2011 : 32,5%
  • Session 2012 : 40,3%
  • Session 2013 : 59,3%
  • Session 2014 : 43,5%
  • Session 2015 : 54,7%
  • Session 2016 : 69,0%
  • Session 2017 : 63,14%
  • Session 2018 : 62,21%
  • Session 2019 : 44, 46%
  • Session 2020 : 55,86%

Le taux de réussite à l’examen d’entrée en 7e année, devenu CEE (Certificat d’Etudes Elémentaires) est plus élevé par rapport au BEPC (Brevet d’études du premier cycle) et au Baccalauréat Unique ; généralement au-dessus de 50% à l’exception de 2011 (32,5), 2012 (40,3), 2014 (43,5) et 2019 (44, 46%).

L’intervalle du taux d’admission au CEE ces dix dernières années est de [32 ; 69].

  1. Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC)
  • Session 2011 : 21,2%
  • Session 2012 : 24,1%
  • Session 2013 : 43,2%
  • Session 2014 : 31,9%
  • Session 2015 : 35,7%
  • Session 2016 : 53,08%
  • Session 2017 : 36,70%
  • Session 2018 : 36,75%
  • Session 2019 : 44,11%
  • Session 2020 : 35,59%

Partant de ces données, nous constatons que le taux d’admission au BEPC, à l’exception de 2016 (53,08%), n’a jamais atteint les 50%. L’intervalle du taux d’admission au BEPC ces dix dernières années est de [21 ; 53].

  • Baccalauréat Unique
  • Session 2011 : 21,27%
  • Session 2012 : 33,33%
  • Session 2013 : 38,48%
  • Session 2014 : 34,23%
  • Session 2015 : 39,85%
  • Session 2016 : 42,27%
  • Session 2017 : 27,15%
  • Session 2018 : 26,04%
  • Session 2019 : 24,38%
  • Session 2020 : 44,43%

Le taux global de réussite au Bac Unique n’a jamais atteint les 50% entre 2011 et 2020 ; le taux le plus élevé est de 44.43 en 2020. L’intervalle du taux d’admission au Bac Unique ces dix dernières années est de [21 ; 44].

Le paradoxe, c’est que malgré les cas de fraudes massives et à ciel ouvert, comme je l’ai dit à l’entame, nous n’arrivons pas à enregistrer des taux élevés de réussite aux examens scolaires.

Quelles en sont les raisons possibles de cette situation à la fois déplorable et paradoxale tant pointée du doigt par certaines organisations de la société civile depuis un bon moment ?

premièrement, nous pouvons affirmer sans ambages que les réseaux mafieux qui orchestrent les fraudes massives et à ciel ouvert ne sont pas composés de gens compétents. Nous savons que ces réseaux sont généralement composés d’étudiants, de diplômés sans emplois, d’enseignants véreux, lacunaires et sans scrupules, d’élèves et des enseignants non spécialistes ;

-deuxièmement, les traités qu’on balance dans les réseaux sociaux sont de simples copiés-collés (plagiat) faits dans la précipitation sans, parfois, tenir compte de l’esprit du sujet donné ;

troisièmement, l’incompétence des surveillants sans scrupule qui communiquent les réponses en contrepartie de quelques sous est également à pointer du doigt ;

-quatrièmement, le manque de confiance des élèves en leur capacité et leur très faible niveau en sont également pour quelque chose.

Ces résultats sont, sans doute, l’expression de la déliquescence à outrance de notre système éducatif qui se dirige tout droit vers un naufrage inédit. Les causes de cette déliquescence globale de l’école guinéenne sont multiples. Nous pouvons noter, entre autres :

  • La discontinuité et/ou la lenteur des reformes :

Pendant le premier régime (1958-1984), l’éducation guinéenne avait une orientation claire et précise : une école guinéenne au service de la Guinée. A l’époque, les fonctions politico-sociales et économico-culturelles de l’école étaient bien remplies.

A l’avènement du CMRN (Comité Militaire de Redressement National) au pouvoir en 1984, on a « jeté le bébé avec l’eau de bain ». On instaura une forme de libéralisme basé sur le trafic d’influence, le népotisme et le laisser-faire qui eut, sans doute, et continue à avoir un impact très négatif sur les différents secteurs de la vie de la nation y compris l’éducation.

Dans les années 1996-2000, des réformes inédites, salutaires et salvatrices avaient été engagées pour une éducation accessible à tous. Hélas !

Depuis lors, c’est la perte totale dans les eaux profondes ; on navigue de tous les sens tout en oubliant d’où nous venons et où l’on va. Chaque ministre ou gouvernement qui vient, il remet en question toutes les réformes antérieures et reprend à zéro comme des jeux d’enfants. En partant de nihilisme en nihilisme, on ne sait presque plus à quel saint se vouer.

Sans occulter le manque de vision, de leadership, de capacité managériale et/ou de capacité intellectuelle de certains ministres et hauts cadres qui ont eu le privilège de diriger les départements ministériels en charge de l’éducation et de la formation.

  • L’instabilité socio-politique :

Ces quinze dernières années, particulièrement, notre pays a été secoué par des séries interminables de grèves syndicales, de grèves estudiantines et de manifestations à caractère socio-politique qui ont, sans aucun doute, affecté négativement le système éducatif. En guise d’illustration, entre 2016 et 2020, nous avons perdu l’équivalent d’une année scolaire dû aux interruptions récurrentes des cours pour fait de « grèves générales et illimitées » ou de paralysie des activités (villes mortes, appels au boycott, manifestations violentes,…).

  • La complexité et l’inefficacité de l’administration scolaire :

Parmi les multiples causes de cette situation tant alarmante, nous pouvons, sans hésitation, citer la gestion catastrophique des structures déconcentrées du ministère en charge de l’éducation nationale (DPE, DCE, IRE,…) et la mauvaise organisation de l’administration scolaire.

Raison pour laquelle, nombre d’observateurs avertis affirment sans ambages que le schéma actuel de l’administration scolaire est contre-productif car, ayant montré toutes ses limites après plusieurs décennies de gestion calamiteuse et autocentrée.

D’où la nécessité imminente et salvatrice de proposer un nouveau schéma administratif pour l’école guinéenne, simplifié et implicatif.

En effet, pour être plus explicite, je propose la suppression pure et simple des DSPE (Direction Sous-Préfectorale de l’Education), des DPE (Directions Préfectorales de l’Education) et des IRE (Inspections Régionales de l’Education).

Ces différentes structures, comme je l’ai dit à l’entame, ont montré toutes leurs limites ; elles sont inefficaces, contre-productives tout simplement. Pire, ces structures inefficaces sont trop couteuses en terme financier. Une part très importante des fonds alloués à l’éducation est consacrée, chaque année, au payement des salaires de ces fonctionnaires sans résultats probants et au fonctionnement de l’administration scolaire.

  • La crise de moralité généralisée et le manque d’éthique professionnelle :

Quelques interrogations me taraudent l’esprit :

-Comment se fait-il que le parent d’élève parte soudoyer le Maître ou le Directeur de son enfant afin que ce dernier puisse passer en classe supérieure sans aucun mérite ?

-Comment se fait-il que la jeune fille se livre à son Professeur ou à son Directeur, pas par amour, mais dans le seul et unique but d’avoir la moyenne lui permettant d’obtenir un diplôme ?

-Comment se fait-il que le Maître/Professeur ou le Directeur accepte d’être corrompu jusqu’à la moelle en fermant les yeux sur les pratiques les plus immorales, dépourvues de toute éthique professionnelle ?

-Comment se fait-il que le cadre/responsable au plus haut niveau accepte des pots de vin afin de divulguer des sujets d’examens ou modifier les résultats des évaluations ?

Telles sont quelques interrogations qui prouvent à suffisance que nous vivons une crise de moralité sans moralité dans le monde scolaire guinéen. L’enseignement a perdu sa noblesse et l’école a été, plus que jamais, souillée. Une dérive morale générale qui suscite le désespoir chez bon nombre d’observateurs. L’adage « tant vaut l’école, tant vaut la nation » ne tient plus en Guinée ou, peut-être, nous sommes désormais, un pays ‘’sans avenir’’ prometteur.

  • Le sous-financement du secteur de l’éducation et de la formation :

Même si la part du budget national de développement (BND) a fortement augmenté entre 2010-2019, passant ainsi de 1 023,5 milliards de Francs Guinéens soit 12,7% du BND à 2 850,49 milliards de Francs Guinéens soit environ 17% du BND, force est de reconnaitre que la Guinée est beaucoup en retard en terme de financement considérable du secteur de l’éducation et de la formation. Cela, 20 ans après le Forum de Dakar où, on recommanda aux pays en voie de développement au moins 20% de leur BND respectif à ce secteur tant vital.

Pis, seuls 9% des fonds alloués au secteur sont consacrés à l’investissement, les 91% sont consacrés aux dépenses courantes.

  • Le manque de vision réelle de l’école guinéenne :

Après avoir exploré (recherche documentaire) les systèmes éducatifs de plus de 80 pays au monde et après avoir pris connaissance des différents une dizaine de rapports et programmes sur le système éducatif guinéen, je me suis rendu compte que la Guinée n’a pas une vision réelle de son système éducatif. En tout cas, depuis un bon bout de temps. En guise d’exemple, dans le ProDEG 2020-2030 (Programme de Décennal de l’Education en Guinée), on se focalise beaucoup plus sur des objectifs spécifiques que sur la finalité (but ou la vision). Autrement dit : quel type de produit pour quelle fin ? Cela, en fonction des réalités et des aspirations de notre pays.

Aujourd’hui, les défis majeurs de notre pays sont entre autres : la promotion et la culture de la paix, le vivre ensemble, l’esprit patriotique, le développement économique (surtout local), le civisme et la citoyenneté.

A rappeler que toute école a, principalement, six fonctions à savoir : la fonction d’éducation et de formation, la fonction de socialisation, la fonction d’inculcation idéologique, la fonction de sélection ainsi que la fonction de promotion collective et de développement.

  • La carence des formateurs :

25% des enseignants du primaire et 48% de ceux du secondaire sont non qualifiés ;

Au privé, le recrutement des enseignants ne tient pas compte des compétences pédagogiques et même, dans certains cas, des qualifications académiques.

  • L’ampleur de la privatisation anarchique de l’éducation :

-Les textes réglementaires souffrent de caducité et/ou d’applicabilité ;

-Les établissements d’enseignement privés sont laissés pour compte d’où, l’origine de l’anarchie qui y règne ;

-Le caractère commercial prédomine sur l’aspect pédagogique et le souci de qualité (course effrénée au taux d’admission, quantité sans qualité), la corruption à grande échelle et à ciel ouvert y est érigée en norme ;

-L’offre éducative privée devient de plus en plus énorme et inquiétante (81% au préscolaire, 22% au primaire, 62% au collège, 41,9% au lycée, 54% à l’ETFP et 71% à l’ESRS).

  • Le retard accru dans la promotion et le développement de l’éducation pré-primaire

-L’enseignement préscolaire public presqu’inexistant (2 établissements, tous à Conakry) ;

-Un sous-secteur de l’éducation nationale dominé par le privé (86%) et le communautaire (13%) ;

-Le TBPS (Taux Brut de Préscolarisation) est inférieur à 25%.

A présent, parlons des conséquences désastreuses de la déliquescence à outrance ou du naufrage du système éducatif guinéen. Elles sont nombreuses et multiformes. Néanmoins, nous pouvons les résumer comme suit :

  • La baisse continue du niveau des apprenants (élèves et étudiants) ;
  • La dévalorisation poussée de l’école guinéenne et, par ricochet, des diplômes y délivrés ;
  • L’accentuation de l’abandon scolaire-l’école n’étant plus une voie de salut-et du chômage ;
  • L’amplification de l’immigration y compris clandestine de la couche juvénile à la quête de savoirs valorisants et de meilleures conditions de vie ;
  • Le maintien de notre pays dans le cercle vicieux du sous-développement ;
  • En dernier lieu, pensons aux solutions susceptibles d’être envisagées pour une redynamisation du système éducatif guinéen, pour favoriser l’accès universel, la qualité et l’inclusivité.

Notons, entre autres :

  • La réforme du schéma et de l’administration scolaire :

Pour relever donc le défi d’accès, de qualité, d’inclusion de notre système éducatif ainsi que d’efficacité de l’administration scolaire, je propose la mise en place de conseils scolaires de la base au sommet : conseils sous-préfectoraux, conseils préfectoraux, conseils communaux, conseils régionaux et un conseil supérieur de l’éducation nationale, de la formation et de la recherche scientifique.

Ce schéma administratif, plus salutaire et salvateur, a de nombreux avantages sont entre autres :

-il est plus implicatif et responsabilisant : dans chaque conseil, on veillera à la représentativité de tous les acteurs de la vie scolaire (parents d’élèves, apprenants, élus et cadres locaux, inspecteurs de l’éducation, corps enseignant, société civile,…) ;

-Il rend l’école partie intégrante de la communauté : Ainsi, l’école prendrait en compte les réalités socio-culturelles et historiques ainsi que les aspirations des populations locales et de la Nation tout entière ;

-il favorise la mobilisation interne des ressources et la transparence : les communautés locales seraient obligées de s’impliquer, non seulement dans la mobilisation de ressources (financières, matérielles, humaines,…) mais aussi et surtout dans la gestion optimale et transparente des fonds y compris ceux alloués par l’Etat.

  • La révision des textes règlementaires et des curricula :

Cela demanderait :

  1. L’actualisation et application stricte des règlements généraux des examens scolaires ;
  2. La mise en place de l’Office National des Examens et Concours (ONEC) ou d’un Office National du Baccalauréat et l’informatisation (biométrie) du système des examens scolaires ;
  3. La mise en conformité des évaluations selon les standards internationaux ;
  1. L’actualisation et application stricte des textes règlementaires de la création et du fonctionnement de l’école privée.
  • La moralisation de la vie scolaire et la mobilisation sociale :

Cela nécessiterait l’élaboration d’un programme national de ‘’communication pour le changement de comportement en milieux scolaire et universitaire’’ et une forte implication des partenaires sociaux, notamment la société civile à travers la création d’un ‘’fonds de la société civile pour l’éducation’’.

  • L’augmentation considérable des fonds alloués au secteur de l’éducation et de la formation :

« L’argent est le nerf de la guerre », on ne le dira jamais assez. Sans argent, tous les programmes et projets de refondation du système éducatif guinéen seront voués à un échec lamentable. C’est pour cela, il serait très intéressant de rehausser la part du budget alloué au secteur à hauteur de 20 ou 25 %. Ce qui nous permettrait d’améliorer les conditions de vie et de travail des professionnels de l’éducation, de moderniser et d’équiper les infrastructures et de lancer de nombreux autres programmes ou projets éducatifs. Entre autres !

  • La formation des formateurs et des encadreurs :

Cela passera par l’élaboration d’un Plan Annuel de formation continue des Formateurs et des Encadreurs en connaissances pédagogiques, TICE, Gestion des systèmes éducatifs, …

  • Le développement de l’EduTech (TICE) :

Nous n’avons pas le choix. Nous devons entrer plein pieds dans le XXIe siècle, le siècle du numérique, du monde virtuel, de l’éducation appliquée aux TIC. On ne peut plus enseigner ou gérer les systèmes éducatifs comme au XIXe siècle. Les technologies de l’information et de la communication appliquées à l’éducation (TICE) et l’intelligence artificielle sont en train de prendre de l’ampleur de jour en jour.

  • La promotion et le développement de l’éducation pré-primaire, de l’enseignement technique et la formation professionnelle, de l’alphabétisation, de l’innovation et la recherche :

Nous trainons énormément les pieds dans ces sous-secteurs de l’éducation et de la formation : préscolaire ou pré-primaire (-25% TBS), enseignement technique et formation professionnelle (-15 000 diplômés/an contre +90 000 diplômés/an au supérieur), alphabétisation (32% en 2014 ; 68% d’analphabètes dans le pays), l’innovation et la recherche sont sous financées ou presqu’inexistantes par endroit.

Aboubacar Mandela CAMARA

Sociologue/Enseignant-Chercheur/Consultant en éducation/Auteur