Par Youssouf Sylla, analyste à Conakry.
Lorsque Macron facilite le président ivoirien, Alassane Ouattara, pour sa réélection pour la troisième fois consécutive à la tête de son pays et blâme le président guinéen, Alpha Condé pour les mêmes faits, on voit là qu’il utilise un double standard dans son appréciation de la problématique du troisième mandatdans ces deux pays. Son jugement, outre qu’il affecte la cohérence du discours qu’on attend d’un président français en matière du respect scrupuleux des principes démocratiques de nos jours en Afrique, sème la confusion dans l’esprit de ceux et celles qui en Côte d’Ivoire et en Guinée, s’imaginaient qu’il aurait, sur cette question, agi non pas par convenance personnelle,mais selon sa « doctrine » des relations franco africaines exposée lors de son discours prononcée à Ouagadougou. Autrement, pour plus d’un, ceux qui justifient le troisième mandat d’un côté perdent toute légitimité à le condamner de l’autre côté, au nom de l’indivisibilité et de l’intégrité du principe démocratique de l’alternance au sommet de l’Etat.
De la real politik chez Macron
On peut mettre sur le compte de la real politik, le double standard de Macron sur la question du troisième mandat en Côte d’Ivoire et en Guinée. En effet sur les plateaux de la balance française, la Côte d’Ivoire pèse plus lourd que la Guinée pour des raisons géostratégiques, historiques et économiques. A la différence de la Côte d’Ivoire, la Guinée brille par ses quatre « ni »vis à vis de la France : ni de base militaire française dans le pays, ni membre la zone FCFA, elle n’est ni le partenaire économique privilégié de la France dans la sous-région, ni la même proximité politique avec le personnel politique de l’hexagone.
La France tient, comme à la prunelle de ses yeux à la stabilité politique et sociale de la Côte d’Ivoire, cette copie de rêve de son modèle de décolonisation réussie en Afrique qui vit depuis quelques décennies sur une corde raide. Ce souci de super protection trouve sa traduction dans une sorte de paternalisme qui a conduit on se le rappelle, Sarkozy àfaciliter à travers la Force Licorne, la chute de L. Gbagbo, jugé anti français au profil de Ouattara jugé, lui, pro français.
La Guinée quant à elle demeure encore, malgré la normalisation avec la France depuis 1978 sous Giscard, une exception dans le dispositif français en Afrique. Comparativement à la Côte d’Ivoire, Macron peut donc se permettre, tout en préservant l’essentiel avec la Guinée, une liberté de ton avec cette ancienne colonie indomptable et récalcitrante au déploiement à son égard de l’ordre politique français. De Sékou Touré à Alpha Condé, en passant par Lansana Conté et éphémèrement par Dadis Camara, la politique étrangère guinéenne est restée constamment tournée, malgré le bon état des relations franco guinéennes depuis quelques décennies, vers certains pays qui sont aujourd’hui des concurrents déclarés à l’influence française en Afrique francophone. Il s’agit de la Russie, de la Chine et de la Turquie. Les deux premiers sont les alliés historiques de la Guinée, non regardant du projet de troisième mandat de son président et surtout disposés à le soutenir à l’international. L’agacement de Macron par rapport à cette situation n’est un secret pour personne.
Le discours de Ouagadougou déjà aux oubliettes ?
Les déclarations de Macron à l’égard d’Alpha Condé au sujet d’un mandat de plus, sont-elles annonciatrices d’un revirement durable ou temporaire de sa politique africaine?La question mérite d’être posée tant ces déclarations contrastent avec le contenu et l’orientation de son discours du 28 novembre 2017 prononcé à l’Université de Ouagadougou.
Macron disait ceci alors ceci à propos des conflits politiques en Afrique : « Je suis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire, quelles sont les règles de l’Etat de droit mais où partout on encouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leurs responsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté et de l’émancipation comme vous l’avez fait ici ». Plus loin, il poursuit « Le président de la République française n’a pas à expliquer dans un pays africain comment on organise la Constitution, comment on organise des élections ou la vie libre de l’opposition. Je n’entends d’ailleurs pas cela d’un président africain pour ce qui concerne l’Europe ».
Les contradictions entre le discours de Macron à Ouagadougou et ses récentes déclarations sur le troisième mandat en Côte d’Ivoire et en Guinée, jettent un doute sur sa volonté affichée de rompre avec la politique paternaliste de ses prédécesseurs dans leurs relations avec l’Afrique francophone. Une politique faite de codes, d’usages, de deals et autres pratiques peu recommandables entre partenaires souverains qui se respectent et qui entendent donner une base saine et transparente à leurs relations.
La fin annoncée de la françafrique n’est certainement pas pour demain.