Des vidéos et images publiées depuis mi-mars sur les réseaux sociaux montrent les dégâts causés à Dubreka, ville située à près de 30 km de la capitale guinéenne Conakry, dans le cadre d’une opération de “déguerpissement” initiée par le gouvernement, qui veut libérer les voies occupées.

Scènes de désolation à Dubreka le long de la route nationale N3 qui traverse la ville et relie Conakry à la ville minière de Boké. Au Point kilométrique 5 où s’anime quotidiennement le grand marché Km5, plusieurs boutiques, magasins et maisons sont détruits au bulldozer depuis plusieurs jours par des agents du ministère de la Ville et de l’Aménagement du territoire.

Des vidéos et images publiées sur Facebook et qui ont également été envoyées à la rédaction des Observateurs de France 24, montrent ce qui reste des bâtiments réduits à un tas de pierres. Selon un journaliste du média en ligne Verite224 qui s’est rendu sur place, Dubreka ressemble à « un champ de ruine le long de la route, du quartier Kénendé au Km5 ».

« Ils ont détruit tout un pan de notre maison et les six boutiques de mon père »

Mariama Ciré, commerçante de produits alimentaires, a perdu la boutique qu’elle occupait et qui fait partie d’un lot de magasins construit par son père sur une aile de la maison familiale.

 

 

Ici à Dubreka, les autorités ne respectent pas les citoyens. Les agents sont venus, il y a deux semaines. Et ils se sont mis à cocher les maisons à casser dans notre quartier. Ils ont donné un ultimatum de 72 heures aux gens pour qu’ils déguerpissent.

Mardi [16 mars], ils ont détruit tout un pan de notre maison et les six boutiques que mon père à la retraite depuis 1999, a construites pendant plusieurs années. Ils disent que nous sommes aux abords de la voie. Or notre maison est à 15 mètres de la route. Comment peuvent-ils nous dire que nous sommes sur les emprises des routes ?

Ils ont tout détruit. Il ne reste plus rien. Beaucoup de gens sont maintenant à la rue. Ils ne savent plus où aller. Les agents de l’Etat n’ont même pas fait preuve de compassion. Comment peut-on préparer un déguerpissement dans un délai aussi court ? Il n’y a pas eu de sensibilisation et ils n’ont présenté aucun plan pour nous dédommager. C’est décevant.

Nous ne savons même pas auprès de qui nous plaindre. Nous sommes allés à la préfecture. Ils n’ont rien pu faire pour nous. Malheureusement, l’Etat est fort et on y peut rien.

 

En Guinée, l’Etat a entamé depuis janvier à Conakry et dans plusieurs villes à l’intérieur du pays, une vaste opération de déguerpissement pour libérer les emprises des routes occupées, pour la plupart anarchiquement, par des commerçants. Elle s’est élargie récemment aux villes de Dubreka et de Coyah qui forment avec la capitale du pays, une plus grande entité administrative appelée Le Grand Conakry.

Selon l’agence Ecofin, spécialisée sur l’actualité économique du continent, seulement 5% du réseau routier en Guinée est bitumé. Ces destructions massives sont donc un préalable aux travaux de rénovation et de construction d’infrastructures routières.

A Dubreka, le gouvernement veut reprofiler l’artère principale de la ville. Cependant, certains biens immobiliers détruits avaient été acquis de manière légale auprès des autorités locales, selon leurs propriétaires. Ces derniers ont donc brandi sans succès, les titres fonciers de leurs bâtiments pour empêcher leur destruction. Même l’immeuble de Mohamed Lamine Bangoura, le président de la Cour constitutionnelle a fait les frais de cette campagne de démolition selon les propos de Ibrahima Kourouma, le ministre de la Ville et de l’Améngement du territoire relayés dans la presse.

 

« Cette opération met des milliers de personnes dans une situation précaire »

Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Souleymane Bah, président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (OGDH) dénonce une opération de déguerpissement hâtive :

 

 

Nous exprimons notre amertume face à cette situation. L’Etat n’a pas donné le temps aux sinistrés de se préparer. On aurait dû sensibiliser pendant plusieurs mois. Cela n’a pas été fait. Certains n’ont même pas eu le temps de retirer leurs marchandises de leurs boutiques.

Nous avons dénoncé dans la presse ces opérations de déguerpissement qui se font un peu partout dans le pays. Ces casses ne sont pas prioritaires. D’autant plus qu’il y a des quartiers qui ont été rasés, il y a plusieurs années, mais aucune infrastructure n’a été construite sur ces espaces-là par le gouvernement jusqu’à présent. Les projets urbains ne vont jamais à terme. Et à chaque fois, la nature ayant horreur du vide, ces commerçants qui sont dégagés, reviennent toujours occuper à nouveau les places.

A Dubreka, il y a des milliers de personnes qui ne vivent que de leurs commerces. Cette opération les met dans une situation encore plus difficile, ils sont encore plus précaires dans le contexte sanitaire du Covid-19 que nous connaissons.

Nous ne savons pas encore combien de personnes ont été impactées, l’opération étant encore en cours. Et nous espérons que l’Etat mettra en place un programme pour indemniser les victimes, et faciliter l’accès à de nouvelles parcelles à ceux qui ont en leur possession des titres fonciers et des papiers réguliers.

 

Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Youssouna Sylla, le préfet de la ville de Dubreka, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Nous avons tenté de joindre également Ibrahima Kourouma, le ministre de la Ville et de l’Aménagement  du territoire, sans succès.  « Il faut qu’on crée des conditions pour que le Guinéen ait le plaisir de vivre dans son quartier. Le président de la République nous engage à faire ce travail. A Kaloum, vous pouvez le constater déjà, on a commencé à poser des dallettes sur les trottoirs. Le programme va se poursuivre », a-t-il justifié dans un article publié par Visionguinee.

Avec France24