L’information judiciaire concernant les citoyens arrêtés au lendemain de la présidentielle du 18 octobre est terminée depuis plusieurs mois. À date, il n’y a aucun obstacle juridique à la tenue d’un procès. Il faut donc se demander pourquoi le procès concernant ce dossier n’est toujours pas ouvert. Le pouvoir semble avoir opté pour la libération de certains détenus sur la base de leur état de santé. En d’autres termes, dans l’état actuel de la procédure, pour qu’un détenu puisse recouvrer sa liberté, il faut que le pouvoir le décide en s’appuyant sur son état de santé. Qu’en est-il alors de tous les autres détenus qui ne souffrent pas physiquement mais qui supportent très mal le poids moral de leur longue détention sans jugement ? Il faut noter d’ailleurs que parmi les détenus qui restent en prison, il y en a qui ont eux aussi des soucis de santé mais qui n’ont pas pu avoir ” la chance” de bénéficier d’une semi-liberté. Cela amène à poser la question de savoir si les libérations intervenues reposent vraiment sur des motifs d’ordre médical ou de respect des droits humains.

 

En réalité, ce qui est souhaitable aujourd’hui pour les détenus, c’est la tenue d’un procès en bonne et due forme. Les mesures de libération à la discrétion de l’Administration pénitentiaire sont une source d’injustice, d’arbitraire et rompt l’égalité entre les détenus. Seul un procès tenu dans les conditions légales pourrait permettre aux détenus de sortir de la situation d’incertitude dans laquelle ils se trouvent actuellement. Même s’il ne faut pas fermer les yeux sur les risques de pressions sur la justice, un procès serait au moins l’occasion pour les détenus de s’expliquer par rapport aux faits qui leur sont reprochés et qui leur ont valu cette longue période de détention provisoire et, sans doute, de déconstruire les accusations pour le moins grotesques qui les visent. Et si la justice les condamnait malgré tout, ils seraient tout au moins innocentés au sein de l’opinion publique.

 

La justice juge certes mais elle est jugée elle aussi par cette opinion

 

Libérer les détenus en catimini sous prétexte de leur permettre de soigner, est certes bien perçu par l’opinion et très apprécié par ces derniers et leurs familles. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il y a de lourdes charges qui pèsent contre eux et qu’ils ont donc besoin d’être blanchis. Et cela passe par un procès. À moins que l’État n’ait pas intérêt à ouvrir un procès pour ne pas perdre la face.

 

Le régime de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, tout cela est aléatoire et très fragile, outre le fait que ce sont des mesures qui, dans l’état actuel de la procédure, violent le principe cardinal de la séparation des pouvoirs et portent atteinte gravement à l’indépendance de la justice. Ce qu’il ne faut ni encourager ni cautionner. Il ne faut pas applaudir le transfert des compétences du juge de l’application des peines à une direction de l’Administration centrale du ministère de la Justice, même si cela peut être perçu comme profitable aux détenus.

 

Me Mohamed Traoré