Le classement 2023 de Transparency International sur l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) dans le monde est disponible depuis le 30 janvier 2024. Créé en 1995 par le mouvement Transparency International, l’IPC est utilisé pour mesurer les perceptions de la corruption dans les administrations publiques et la classe politique de 180 pays et territoires du monde. Cet indice est constitué à partir de 13 évaluations d’experts et enquêtes indépendantes proposant chacune ses propres critères. Il est élaboré à l’aide d’enquêtes réalisées auprès d’hommes d’affaires, d’analystes de risques et d’universitaires résidant dans ces pays ou à l’étranger.

L’IPC classe 180 pays et territoires sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public. Le score régional moyen de l’Afrique dans l’Indice de Perception de la Corruption (IPC), passe de 32 à 33 points sur 100. Les Seychelles (71 points) arrivent en tête et la Somalie (11 points) occupe la dernière place du monde.

Classée 141ème sur 180 pays évalués à travers le monde, le score de la Guinée est 26/100, un point de plus par rapport aux deux dernières années. Cette amélioration est statistiquement insignifiante si nous tenons compte des attentes de la population guinéenne. Le score moyen de l’Afrique est de 33/100, presqu’inchangé par rapport aux années précédentes

Peut-on s’interroger sur le classement de la Guinée qui, malgré certaines initiatives allant dans le sens de la moralisation de la chose publique depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en septembre 2021 ?

La raison pourrait être liée à des facteurs politiques, économiques et structurels.

Le système de gouvernance économique, politique et sociale peine à produire des effets positifs sur la vie des citoyens. La Guinée reste au bas du classement de l’Indice de Développement Humain (IDH) du PNUD, occupant le 182ème rang sur 191 pays en 2021. Plus de la moitié de la population (53%) vit en dessous du seuil de la pauvreté. Selon la Banque Mondiale, de nos jours, environ 60% des personnes vivent dans une pauvreté multidimensionnelle, 55% des personnes sont sous le seuil de pauvreté et moins de 3% de la population bénéficient d’une couverture sociale. L’incidence de la pauvreté est plus perceptible en milieu rural (où vivent plus de 80% de la population) qu’en milieu urbain. Classée 147e/180 pays (avec 26 points/100) par le dernier rapport de Transparency International (TI) sur l’indice de perception de la corruption (IPC) de 2022, la Guinée stagne dans les efforts de lutte contre la corruption.

Malgré l’existence d’un cadre juridique prenant en compte les initiatives et normes tant nationales qu’internationales, le pays peine à produire des résultats probants en matière de promotion de la bonne gouvernance. La corruption et l’impunité croissantes au sommet de l’Etat se manifestent à travers des pratiques de blanchiment d’argent, la dissimulation d’actifs mal acquis en Guinée ou à l’étranger ainsi que des comptes bancaires et biens immobiliers et mobiliers.

Sur le plan de la gouvernance économique, ce sont le niveau de pauvreté et les conditions difficiles de vie des populations, l’inégale répartition de la richesse nationale ainsi que les pratiques corruptives orchestrées par les agents de l’Etat y compris au niveau des barrages routiers et en longueur des journées dans les carrefours des différentes villes du pays.

Alors que les autorités militaires avaient pris l’engagement de bâtir un Etat de droit respectueux du contenu de la législation nationale. A ce titre, elles ont mis en place des mécanismes et instruments qui favorisent une gestion efficace et efficiente des biens publics dans l’objectif d’une refondation et d’une rectification institutionnelle réussie. La Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) a été ainsi créée suivant l’Ordonnance N°/2021/0007/PRG/CNRD/SGG du 2 décembre 2021 portant Création, Compétence, Organisation et Fonctionnement de la CRIEF pour poursuivre tout détournement supérieur ou égal à un milliard de Francs Guinéens (environ 110 000 USD). Ensuite, des mesures ont été entreprises pour récupérer les biens spoliés par les anciens dignitaires.

Enfin, le 23 Août 2023, le ministre de la justice et des Droits de l’Homme, a officiellement lancé les activités de l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC). Ce service aura pour tâche, de gérer les avoirs et biens saisis par la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières, des cours et tribunaux, et la CENTIF.

Sur le plan politique, la Guinée est dans un régime exceptionnel dont le retour à l’ordre constitutionnel est incertain.

Sur le plan de la gouvernance économique, les initiatives certes existent, mais les réformes institutionnelles ne sont que superficielles. Bon nombre des dossiers de la grande corruption restent sans suite, même si certains accusés sont incarcérés. La petite corruption à tous les niveaux par les agents de l’état (agents de sécurité routière, de santé, du système éducatif…) est une pratique courante malgré la détermination des structures en charges de contrôle et de lutte contre la corruption.

Les autres facteurs non négligeables qui auraient impacté négativement le classement de la Guinée sont : la non déclaration de biens et de patrimoine des membres du CNRD, des hauts responsables de l’Etat et des régies financières à leur entrée en fonction ; la longue détention des personnes accusées pour corruption et détournement des deniers publics sans jugement ; l’arrestation des journalistes ; la censure des organes de presse et la difficulté d’accès à l’information public y compris la coupure de l’internet.

Sur le plan structurel, on note l’insuffisance des moyens humains, techniques et financiers au niveau des structures d’inspection et de contrôle de l’Etat.

A tous ces manquements, s’ajoute une difficulté de coordination entre les différents acteurs chargés de la moralisation et de la rectification institutionnelle.

Pour améliorer le classement de la Guinée dans l’IPC, l’Association Guinéenne pour la Transparence (AGT) recommande :

1- Au Gouvernement :

  • Rendre effective l’indépendance des organes/institutions administratifs, de contrôle et de répression des délits économiques et financiers ;
  • Doter ces institutions des ressources humaines qualifiées ; des ressources financières suffisantes et des matériels et équipements adéquats pour leur permettre d’accomplir leurs missions ;
  • Accélérer l’actualisation de la stratégie nationale de lutte contre la corruption ;
  • Procéder à la spécialisation et le renforcement des capacités des agents de l’IGAP, de l’ORDEF, de la CENTIF, de l’ANLC et de la société civile pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions ;
  • Mettre en place et rendre opérationnelle une structure inclusive de coordination des actions des organes qui mettent en œuvre les dispositions légales et réglementaires de lutte contre la corruption et les infractions assimilées en Guinée ;
  • Rehausser le salaire des fonctionnaires et équiper les agents des services de contrôle et de supervision en leur octroyant des primes d’incitation ;
  • Vulgariser les textes légaux et réglementaires régissant la lutte contre la corruption et ses corollaires notamment la loi anti-corruption, la loi anti-blanchiment, les codes pénal et procédure pénale, le code des marchés publics auprès des citoyens à la base ;
  • Développer des mécanismes pour rendre accessible le budget citoyen à tous les citoyens y compris ceux qui vivent en milieu rural ;
  • Mettre en place des mécanismes visant la publication des rapports périodiques sur les risques de corruption au sein de l’administration publique ;
  • Accélérer l’adhésion de la Guinée à la Conférence internationale sur les données ouvertes (CIDO) ;
  • Élaborer une stratégie de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et actualiser la stratégie nationale de lutte contre la corruption ;
  • Soutenir et accompagner les organisations de la société civile et des médias travaillant dans le domaine de la bonne gouvernance ;
  • Mettre en place un dispositif communicationnel pour assurer la visibilité et la traçabilité de la gestion transparente des fonds confisqués et/ou restitués ;
  • Rendre obligatoire la tenue des statistiques complètes sur les aspects pertinents de la LBC/FT par toutes les entités publiques et privées impliquées dans ce processus ;
  • Approuver et rendre obligatoire l’utilisation du formulaire de déclaration transfrontalière de devises à un seuil de 10 000 dollars ;
  • Œuvrer pour une visibilité plus accrue de la conduite de la transition pour faciliter le retour à l’ordre constitutionnel ;
  • Diligenter le procès des personnes accusées pour corruption et détournement des deniers publics ;
  1. Aux organisations de la Société et de médias de :
  • Jouer leurs rôles d’alerte, de veille, d’interpellation et de contrôle citoyen afin que la redevabilité soit une valeur ajoutée de la part des décideurs ;
  • Organiser des campagnes de sensibilisation et de plaidoyer auprès des décideurs pour rendre effective la loi d’accès à l’information publique ;
  • Promouvoir le renforcement organisationnel et le réseautage des acteurs travaillant dans le secteur de la gouvernance pour une mutualisation des efforts ;
  • Faire du journalisme d’investigation un métier pour surveiller et dénoncer la corruption à tous les niveaux.
  • 3- Aux partenaires techniques et financiers de :

Œuvrer pour le renforcement des capacités d’intervention de l’Etat, de la société civile et des médias engagés pour la promotion de la bonne gouvernance.

Combattons la corruption, car ne rien faine c’est laisser faire !

Conakry, le 30 janvier 2024

 

Le Président

Oumar Kanah DIALLO