Dans quelques mois, la République de Guinée, notre pays, célébrera le 62è anniversaire de son indépendance ; une indépendance arrachée avec fierté par les pères fondateurs afin que le vaillant peuple de Guinée vive, en fin, dans « la dignité ».
Paradoxalement, ce peuple qui aspirait vivre dignement de son « travail » et de la « solidarité » de ses fils et filles dans la « justice » sociale, continue à s’humilier sous les pieds même des anciens colons pour pouvoir nourrir, vêtir et, pire encore, éduquer ses enfants. Le peuple de Guinée peine toujours à voler de ses propres ailes. Quel dommage !
Parlant, spécifiquement de l’éducation, il faut souligner avec amertume que : l’école guinéenne est sous financée, les infrastructures scolaires vétustes et sous équipées, la déscolarisation bat son plein, l’accès et la qualité sont en recul, les enseignants vivotent, l’analphabétisme s’accroit,…Que sais-je encore ?
L’argent étant « le nerf de la guerre », aujourd’hui, la question est de savoir : comment financer l’éducation guinéenne en misant de moins en moins sur l’aide extérieure ?
En effet, une précision importante s’impose : il n’est pas ici question de rejeter catégoriquement l’aide venant de nos ‘’pays amis’’ tels la France, le Japon, la Chine, les USA, l’Allemagne, la Russie,… encore moins de celle (l’aide) venant des ONG, des organisations et institutions internationales dont nous sommes d’ailleurs, ou parfois, membres et qui œuvrent inlassablement pour la qualification de l’éducation dans le monde en général, les pays en voies de développement en particulier.
Il est question, surtout et avant tout, d’ « apprendre à voler de ses propres ailes ». Pour causes : les aides extérieures ne viennent pas généralement à temps, elles sont trop exigeantes, elles tombent à compte goutes et, pire encore, une grande partie de ces aides retournent dans les poches des « experts », des « consultants » et/ou « missionnaires » coptés par les ‘’donateurs’’ ou bailleurs de fonds.
Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, les systèmes éducatifs africains vont de mal en pis : l’Afrique regorge la population la plus analphabète au monde (environ 35%), les infrastructures sont vétustes, les effectifs des apprenants (élèves et étudiants) sont pléthoriques dans les salles et amphithéâtres assimilables à des camps de concentration ou des fours crématoires, les programmes d’enseignement ne sont ni professionnalisant, ni adaptés aux réalités socio-culturelles et historiques des pays ; bref, nous vivons dans une « crise de l’éducation » et d’ « apprentissage » sans précédent.
C’est pour cela, parmi les solutions palliatives, je préconise celles ci-après, inspirées pour la plupart des modèles éducatifs tirés du ‘’Guide International des Systèmes d’Education, Ibedata, UNESCO, 1979:
1-Impot foncier pour l’éducation (impôt spécial) :
Des pays comme le Canada, le Panama, le Royaume Uni (Angleterre et Pays de Galles) ainsi que l’Ecosse, ont une expérience en la matière.
Ce serait, sans doute, salutaire et salvateur qu’on légifère un impôt foncier ou impôt spécial annuel en faveur de l’éducation par tête d’enfant.
C’est une stratégie-oh combien salutaire !-d’impliquer tous les citoyens, responsables de familles, à la levée de fonds pour le financement de l’éducation des enfants de la Nation.
En 2018, selon les données tirées de l’Annuaire Statistique, il y avait une population étudiante de 2 861 004 personnes (élèves et étudiantes de tous les cycles) sans compter le préscolaire qui regorgeait 202 293 enfants au total. En tout, en tenant compte du préscolaire, on comptait une population étudiante de 3 063 297 personnes.
A ceux-ci, s’ajoute une population de « 1,6 million d’enfants et jeunes guinéens âgés entre 5 et 16 ans […] en dehors du système éducatif. » Soit un total estimable de 4 600 000 personnes qu’on pourrait même arrondir à 5 000 000 d’enfants et de jeunes.
Si pour chaque tête d’enfants et de jeunes, on lève un impôt de 25 000 GNF, on se retrouverait avec un montant d’environ 125 milliards de Francs Guinéens par an. Un montant qui pourrait augmenter d’année en année en raison du taux élevé de natalité en Guinée.
2-Les contributions volontaires :
Sans prétendre encourager la mendicité, et malgré notre situation de pays en voies de développement, il faut avouer que l’appel aux contributions volontaires de toutes les filles et de tous les fils de la Guinée, où qu’ils soient, qui qu’ils soient, serait une autre stratégie payante de mobilisation interne de fonds en faveur de l’éducation nationale. Ce serait là même : un acte citoyen indélébile, salutaire et salvateur.
Le Singapour qui a, aujourd’hui, l’un des systèmes les plus performants au monde, l’avait instauré dans les années ‘’70’’.
Avec l’émergence d’une nouvelle classe moyenne et d’une nouvelle génération de riches à la générosité emphatique, cette piste n’est pas à négliger. Ce serait là, d’ailleurs, la meilleure opportunité de redistribution des richesses et de réduction des inégalités comme le stipule notre devise : SOLIDARITE.
On pourrait même organiser des évènements spéciaux de collecte de fonds tels des concerts ou des soirées de charité pour l’éducation avec le concours de la société civile.
L’expérience de la construction du barrage hydroélectrique de Garafiri en est une parfaite illustration.
3-Le Patronnage :
Aujourd’hui, de nombreuses sociétés/entreprises de droit guinéen sont en train d’émerger et de se faire une place parmi les géants d’Afrique, voire même au-delà. Ceci, tant bien dans le domaine de la construction, du sport, des médias, du commerce, de l’agro-business que de la loterie. Entre autres !
Il serait donc salutaire et salvateur que ces sociétés s’impliquent, profondément, dans l’éducation et la formation des enfants de la Guinée à travers le patronnage de certaines écoles, surtout dans les localités extrêmement pauvres ou quartiers populaires.
Ce serait, d’ailleurs, une opération gagnant-gagnant, notamment en termes de visibilité et un acte patriotique pour les promoteurs de ces sociétés.
C’est une stratégie qui a beaucoup contribué à la qualification de l’éducation en République Démocratique d’Allemagne dans le temps.
4-Le Financement Local :
Une fois que la décentralisation de l’école guinéenne rendue effective (voir mon analyse ‘’Comment gérer efficacement l’école guinéenne ?’’), il faudrait que les structures décentralisées (communes rurales et urbaines) prennent en charge, sur la base de leurs budgets, une part importante du budget local d’investissement pour l’éducation.
Il ne faudrait pas que les élus locaux continuent à croiser les bras pour attendre l’Etat et les bailleurs de fonds même pour une simple rénovation d’un établissement scolaire délabré.
Ainsi, l’Etat ne prendrait en charge que le traitement des personnels et une partie de l’investissement, notamment la construction. Comme nous le rappelle-t-on : «quand on lave ton dos, tu dois laver ton ventre. »
C’est une politique éducative qu’avaient instauré des pays tels l’Algérie, l’Argentine ou encore le Luxembourg.
5-La TME (Taxe Minière pour l’Education) :
La Guinée est, sans doute, un scandale géologique scandaleux. Presque tous les échantillons de ressources minières se sont donnés rendez-vous chez nous (Or, Diamant, Bauxite, Fer…).
Les sociétés minières se ruent, chaque année, vers la Guinée comme des criquets pèlerins pendant que d’autres émergent en Guinée (niveau national) comme des champignons.
Mais, leur impact positif pour le développement socio-économique des localités riveraines d’une part, les populations guinéennes d’autre part, laisse à désirer ; particulièrement dans le domaine de l’éducation et de la formation des filles et des fils de la Guinée.
Surtout, quand on sait que l’état de l’éducation dans les zones minières et très criard. Nous savons que ces sociétés minières, d’après un consultant sur des questions minières, contribuent dans le fonctionnement de l’AGUIPE, le FODEL, l’ANAFIC et, elles sont régies par la RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise).
Mais, l’éducation guinéenne étant en état de déliquescence très poussée, il serait très judicieux de voter une TME (taxe minière pour l’éducation). Une taxe qui sera repartie, selon les priorités, à l’ensemble des localités du pays ; même si, naturellement, les zones dites minières seraient prioritaires.
Cette taxe viendrait en appui pour la construction et la rénovation des infrastructures scolaires, la formation des formateurs, la promotion de l’éducation de base,…
A l’heure où nous sommes, la « priorité des priorités » pour la Guinée c’est le développement (qualification) du capital humain, notamment l’éducation et la formation, longtemps laissées pour compte.
6-La suppression des bourses d’entretien à l’université :
En 2018, on notait quatre-vingt-trois mille soixante un (83 061) étudiants boursiers de l’enseignement supérieur en Guinée. Une année avant (2017), on était à cent mille cinq cent huit (100 508) étudiants boursiers. Depuis 2014, on enregistre plus de quatre-vingt-dix mille étudiants boursiers par an.
L’université guinéenne est devenue une usine de production de ‘’chômeurs de profession’’, d’automates incapables d’innover, d’entreprendre pour voler de leurs propres ailes ; des parasites programmés.
Les salles de classe et amphithéâtres n’ont rien de notre siècle, le niveau des enseignants laisse à désirer, les pédagogies d’enseignement datent de l’antiquité grecque, les formations reçues sont en déphasage de la réalité, la recherche est presqu’inexistante, etc.
Pendant ce temps, on continue à entretenir l’ensemble des étudiants avec d’insignifiantes bourses sans impact réel sur leur formation, encore moins sur leur niveau de vie. Des miettes qui, additionnées, deviennent des montants faramineux (colossaux), s’évaluant ainsi à plusieurs centaines de milliards de francs guinéens par an.
Pourtant, au lieu d’entretenir ou faire semblant d’entretenir les étudiants, il serait préférable de créer de meilleurs conditions d’études en leur transmettant des savoirs professionnalisant et adaptés aux exigences de notre époque et des besoins du marché.
Si nous prenons une moyenne de 100 000 GNF par mois et par étudiant, nous nous retrouverions, selon l’effectif de 2018, à un montant de 74 754 900 000 GNF par an en moyenne.
Ce fameux montant économisé et investi à bon escient pendant 5 à 10 ans, nous permettrait de moderniser l’université guinéenne.
Seules quelques catégories d’étudiants devraient bénéficier de bourses d’entretien tels les lauréats.
7-La réduction drastique du nombre d’administrateurs scolaires et des cadres au MENA
Lors du dernier recensement des fonctionnaires du secteur de l’éducation, il a été signifié qu’au niveau du MENA, environ 22000 enseignants sont dans les bureaux. Pour quel résultat ? Nous l’ignorons encore. En tous cas, cette pléthore ahurissante de l’administration scolaire n’a pas encore favorisé la qualification de notre éducation qui devient de plus en plus moribonde.
A cela s’ajoutent la complexité du schéma administratif (DSEE, DPE, IRE,) et la concentration de près d’un millier de cadres au département (niveau central).
C’est pour cela, il serait plus que salutaire de revoir le schéma administratif de l’école guinéenne (décentralisation) et de décongestion le niveau central du département. Ce qui permettra non seulement d’engranger des fonds, mais aussi et surtout, de promouvoir l’efficacité de l’administration scolaire.
8-La réduction du train de vie de l’Etat et la lutte contre la corruption
La gabegie financière et le détournement des deniers publics sont, entre autres les raisons de notre retard.
Généralement, le peu de fonds alloués à l’éducation (-20% du BND) et les « dons » des partenaires financiers, ne sont pas utilisés de façon rationnelle.
En réduisant le train de vie de l’Etat et en luttant contre la corruption, nous pourrions sans doute économiser d’importants fonds à investir pour la qualification de l’école guinéenne. L’organisation des examens de 2017 en fait foi où, on a pu économiser environ 30 milliards de GNF.
Aboubacar Mandela CAMARA
Sociologue/Consultant en éducation/Auteur