La France progresse un peu au classement mondial de la liberté de la presse*. Elle est classée 21e en 2024 par Reporters sans frontières et gagne trois places par rapport à 2023 où elle était 24e. « Les États échouent à protéger le journalisme », constate Reporters sans frontières (RSF) qui publie vendredi l’édition 2024 de son classement mondial de la liberté de la presse que franceinfo a pu consulter.

RSF juge qu’au niveau mondial, les autorités politiques menacent la liberté de la presse alors qu’elles devraient en être « les garants ». Pour établir son classement, l’ONG s’appuie sur cinq critères : politique, légal, économique, socioculturel et sécurité. Et pour cette 22e édition, c’est l’indicateur politique qui baisse le plus cette année, avec une chute globale de 7,6 points. Cela signifie qu’un nombre croissant d’Etats ne garantit pas au public une information fiable et indépendante, remet parfois en cause le rôle des journalistes, voire instrumentalise des médias. « RSF observe une détérioration préoccupante du soutien et du respect de l’autonomie des médias et un accroissement des pressions exercées par l’État ou d’autres acteurs politiques », écrit le rapport.

La Norvège à la 1ère place pour la 8e année consécutive

Cette tendance touche même les plus grandes démocraties puisque le podium est bouleversé. En 2024, le trio de tête des pays où la liberté de la presse est le mieux respectée est composé de la Norvège, du Danemark, et de la Suède. La Norvège conserve ainsi sa première place pour la huitième année consécutive, malgré un moins bon score qu’auparavant. L’Irlande cède sa deuxième place au Danemark et rétrograde en huitième position. Selon RSF, à Dublin, « des intimidations judiciaires de la part des formations politiques visent des médias ».

Classement 2024 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. (RSF)

L’Allemagne, 21e en 2023, se hisse à la dixième place. Le Royaume-Uni, 23e, gagne trois places. Dans ces deux pays, « si la liberté de la presse n’est pas menacée par des atteintes politiques d’ampleur, la vigilance reste de mise », explique RSF. L’ONG pointe « l’arrestation de la Française Ariane Lavrilleux, journaliste de Mediapart et Disclose, « à la suite d’une plainte du ministère des Armées » ainsi que le maintien en détention de Julian Assange au Royaume-Uni, « pays où les journalistes en exil, notamment les Iraniens, sont menacés depuis leur pays d’origine sans protection efficace des autorités d’accueil ».

En fin de classement, la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord occupaient les trois dernières places en 2023. Ils sont remplacés cette année par l’Afghanistan, la Syrie et l’Erythrée, dont l’indicateur politique a dégringolé. L’Afghanistan « ne cesse de réprimer le journalisme depuis le retour au pouvoir des talibans », analyse RSF. La Syrie et l’Érythrée sont « deux pays qui sont devenus des zones de non-droit pour les médias, avec un nombre record de journalistes détenus, disparus ou otages », souligne l’ONG.

 

Carte de la liberté de la presse dans le monde en 2024. (RSF)

« Une croisade » russe « contre le journalisme indépendant »

Reporters sans frontières souligne cette année « une absence manifeste de volonté politique de la communauté internationale à faire appliquer les principes de protection des journalistes », évoquant la situation au Proche-Orient. Pour RSF, la guerre à Gaza est « marquée par un nombre record d’exactions commises contre les journalistes et les médias depuis octobre 2023 ». Les conditions des journalistes se sont également dégradées en Europe de l’Est et en Asie centrale dans le contexte de la guerre en Ukraine et où les censures de médias se sont intensifiées, « dans un mimétisme spectaculaire des actes de répression russes ».

La Russie, 162e mondiale, « continue sa croisade contre le journalisme indépendant ». Et son influence se propage au Bélarus, en Géorgie, au Kirghizistan, ou en Azerbaïdjan, « avec une vague de répression des médias avant la présidentielle », jusqu’en Serbie, où des médias pro-gouvernementaux « diffusent de la propagande russe et où les autorités menacent des journalistes russes exilés ». 

De son côté, l’Ukraine gagne 18 places au classement et passe à la 61e place, grâce à « l’amélioration des indicateurs sécuritaires – moins de journalistes tués – et politiques »« Si l’Etat de droit n’est pas appliqué sur l’ensemble du territoire depuis l’invasion russe, empêchant les autorités d’y garantir la liberté de la presse, les interférences politiques en Ukraine libre ont diminué », analyse RSF. 

L’Argentine perd 26 places

L’ONG alerte sur les pressions très fortes que risque de subir la presse en 2024, année électorale qui voit deux milliards de citoyens appelés aux urnes. Car elle souligne qu’en 2023, des élections ont eu lieu notamment en Amérique latine, qui a vue « l’arrivée au pouvoir de prédateurs revendiqués de la liberté de la presse et de la pluralité de l’information », à l’instar du nouveau président argentin Javier Milei, « qui a, dans un acte symbolique inquiétant, fermé la plus grande agence de presse du pays ». L’Argentine est 66e du classement, perdant 26 places. RSF évoque également le Nigéria ou la République démocratique du Congo où les périodes électorales « sont régulièrement accompagnées de violences à l’égard des journalistes ». 

Mais les pouvoirs en place ne sont pas en reste, comme au Vietnam, où les journalistes qui s’expriment sur les réseaux sociaux « sont quasi systématiquement enfermés », ou en Chine, où le gouvernement « continue d’exercer un contrôle strict sur les canaux d’information, en mettant en place des politiques de censure et de surveillance ». La Chine qui reste le pays où on « emprisonne le plus grand nombre de journalistes au monde ». En Europe, RSF cite encore l’Italie, 46e au classement (moins cinq places), qui fait partie des pays qui « orchestrent une mainmise de l’écosystème médiatique ». L’ONG pointe notamment un député de la majorité italienne, conduite par la Première ministre Giorgia Meloni, qui « cherche à acquérir la deuxième agence de presse ». 


*Méthodologie : Le classement mondial de la liberté de la presse est réalisé par un comité d’experts issus du monde universitaire et des médias. Il est établi avec cinq indicateurs, contexte politique, cadre légal, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité, évalués sur la base d’un relevé quantitatif des exactions commises envers les journalistes et les médias, ainsi que d’une étude qualitative fondée sur les réponses de centaines d’experts de la liberté de la presse sélectionnés par RSF à une centaine de questions.