La mission de l’ONU inspire des sentiments partagés à un certain nombre de Tombouctiens. Certains la verront partir sans regret ni inquiétude malgré la proximité des jihadistes, d’autres redoutent cette perspective notamment à cause de ses conséquences économiques.

Les motos bourdonnent au pied des façades séculaires, les badauds déambulent entre les étals… Tombouctou vaque à ses occupations sans souci apparent des lendemains sans mission de l’ONU. Les dizaines de milliers d’habitants de la « ville aux 333 saints » auraient a priori des raisons de s’alarmer d’un départ des Casques bleus et des personnels de l’ONU, demandé vendredi par le pouvoir à Bamako.

Ici comme ailleurs, la Minusma (12.000 militaires et policiers), acteur important et contesté de la crise malienne, inspire des sentiments partagés à un certain nombre de Tombouctiens interrogés par l’AFP. Certains la verront partir sans regret ni inquiétude malgré la présence jihadiste à courte distance de la ville, d’autres redoutent cette perspective à cause de ses conséquences économiques.

« En fait, je n’ai rien contre le fait que la Minusma parte ou qu’elle reste », souffle Maïmouna Sogoré, une habitante. « La Minusma n’a rien fait en termes de paix et de stabilité », juge Aboubacar Maiga, enseignant.

La conquête de Tombouctou par des jihadistes et la destruction de ses mausolées qui avaient contribué à son inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco avaient choqué le monde en 2012. Les soldats français et maliens ont repris la ville en janvier 2013. Dix ans après, les manuscrits anciens de la cité sont en sûreté dans des bibliothèques rénovées par la Minusma.

La présence des Casques bleus et leurs patrouilles assurent un relatif sentiment de sécurité à Tombouctou et sur 30 kilomètres à la ronde. Mais au-delà, dans toutes les directions, les villages sont sous la menace des jihadistes. La Minusma paie elle-même un lourd tribut aux attaques jihadistes dans la région comme l’a rappelé la mort récente de deux Casques bleus burkinabè.

« La Minusma permettait de desserrer l’étau sur les villes et d’éviter la situation de siège que connaissent certaines localités dans le nord du Burkina Faso », relève Jean Hervé Jezequel, directeur du Projet Sahel de l’organisation de résolution des conflits Crisis Group. Salaha Aboudjé, éducateur, estime que la Minusma pourrait faire plus en devenant une « force d’intervention » et non plus seulement d’interposition. « Mais de là à demander son départ ? Moi, je ne suis pas pour ».

Impact « indiscutable »

Des habitants ont manifesté fin avril pour demander le maintien de la Minusma alors que les autorités n’avaient pas encore réclamé son départ. A l’époque, sa présence au Mali a donné lieu à des rassemblements hostiles, notamment dans la capitale.

« Ce sont des gens instrumentalisés qui demandent le départ de la Minusma et qui ne connaissent absolument pas la réalité du terrain », peste un membre de la société civile. Comme beaucoup d’interlocuteurs, il préfère conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Il invoque les multiples projets d’infrastructure que la Minusma finance, pilote ou soutient sur place : réhabilitation de la route entre l’aéroport et le centre-ville, installation de lampadaires solaires, rénovation de bâtiments gouvernementaux, systèmes d’adduction d’eau, aménagement de périmètres maraîchers, équipements sportifs à destination des jeunes désœuvrés. Elle seule peut jouer ce rôle dans un contexte de forte insécurité et de déshérence de l’Etat central. Elle le défend comme concourant à la cohésion sociale et à la diminution des violences.

La Minusma fait travailler des milliers de Maliens comme analystes, traducteurs, chauffeurs… Son impact « est indiscutable », dit Ahmed, commerçant assis dans sa boutique du centre. « Nous avons nos enfants, nous avons des milliers et des milliers de jeunes qui travaillent à la Minusma depuis Kidal jusqu’à Ménaka, à Gao, à Tombouctou, à Mopti, même à Bamako ».

Le retrait de la Minusma ouvre une perspective angoissante dans une région instable où le salaire moyen dépasse à peine une centaine d’euros par mois. « Tous ces jeunes qui ont l’habitude de toucher 400.000 ou 500.000 francs CFA par mois, si tu les prives de tout ça, qu’est-ce que tu vas attendre de ces personnes ? Le risque, ce n’est même pas qu’ils rejoignent les terroristes, c’est qu’ils deviennent des braqueurs », prévient un membre de la société civile.

Les modalités d’un éventuel retrait sont inconnues et il devrait prendre des mois. La demande retentissante de la junte sonne néanmoins aux oreilles de certains comme un nouvel abandon. « C’est nous qui sommes sur le terrain, c’est comme insulter tout Tombouctou ! Mais on a compris que les voix du Nord ne comptent pas », déplore un habitant.

AFP