« Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».
L’expression aurait pour origine la malice d’un barbier. Pas forcément celui de la ville de Séville, né de l’imagination de Beaumarchais. Le quidam dont il s’agit aurait pu être de n’importe quel bled et appartenir à une époque quelconque.
Un beau matin donc, notre barbier eut l’idée de placer à l’entrée de son échoppe (son salon de coiffure, si on veut) une grande pancarte annonçant : « demain on rase gratis ».
Mais notre bonhomme, pas totalement idiot et près de ses sous, l’y laissait tous les jours. Par conséquent, le client qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s’étonnait de devoir quand même payer, s’entendait répondre : « oui, mais il y a écrit que c’est demain que c’est gratuit ».
Celui que certains médias présentent comme « le premier président démocratiquement élu » de Guinée, était particulièrement généreux quand il s’agit d’égrener des promesses. Ce qui aurait été louable, si pour la plupart du temps il ne s’agissait, aux dires de ses détracteurs, d’annonces sans lendemain. Pour ironiser, ces derniers finiront d’ailleurs par lui coller le sobriquet de « Papa promesses ». Faisant délibérément fi de celles qui ont été tenues, comme, entre autres, la promesse de faire de Conakry et ses environs une « ville lumière », grâce notamment aux barrages hydroélectriques de Kaléta et Souapiti. Une véritable prouesse. Malheureusement, cet acquis a plutôt tendance à s’effilocher depuis qu’un pouvoir kaki tient les manettes du pays,
Pendant qu’il était conspué au Palais du peuple, par de jeunes étudiants qui lui reprochaient de n’avoir pas vu la couleur des tablettes numériques qu’il avait promis de leur offrir, Alpha Condé, offusqué, hors de lui, leur lancera : « celui qui peut m’impressionner n’est pas encore né » !
Au matin du 5 septembre 2021, où un putsch (qui serait fortement teinté d’hémoglobine) est venu abréger son controversé troisième mandat, l’on ne saurait dire, puisque probablement personne n’a songé à lui poser la question, s’il avait été impressionné ou non par l’audace (ou le courage du désespoir ? ) d’un certain Doumbouya.
Pas besoin de préciser qu’au moment où l’ancien président y allait de sa petite exhibition, face à une foule de jeunes chahuteurs, son futur tombeur était de ce monde depuis des dizaines d’hivernages, majeur, vacciné, et peut-être rêvant déjà d’être (un pimpant) calife à la place du (vieillissant) calife.
Outre la vie de caporal dans la légion étrangère française, l’expérience acquise sur des lignes de front en Afrique et ailleurs, suivi de quelques formations académiques et une fulgurante montée en grade, on pourrait penser que notre nouvel homme fort a eu la curiosité de lire – et peut-être de comprendre – les 13 articles de L’art de la guerre de Sun Tzu. Un court traité de stratégie militaire écrit par un général chinois bien avant que Gaspard, Balthazar et Melchior (les Rois mages) ne découvrent le berceau de Jesus de Nazareth. Défiant le temps et ignorant les frontières géographiques et idéologiques, l’œuvre fait encore recette de nos jours. Hormis de nombreux galonnés, des politiques et même des patrons d’entreprise en ont fait leur livre de chevet.
Une transition au milieu d’un labyrinthe
Presque neuf mois après la mise en bière du régime Condé et le début de la transition, bien malin est celui qui pourrait dire sur quel genre d’échiquier Mamadi Doumbouya est en train de pousser ses pions, avec quelle tactique et surtout à quelle fin. En revanche, presque tout le monde en convient, il renvoie l’image de quelqu’un qui sait où il pose les brodequins, affiche la sérénité de celui qui, à l’image des irréductibles Gaulois de la BD de Goscinny et Uderzo, ne craint qu’une chose : que le ciel lui tombe sur la tête, tout en étant convaincu que ce n’est pas demain la veille.
Mais, on est en droit de se demander : et si tout cela n’était que pure apparence, simple illusion ou grande malice dans le but de flouer ?
L’avenir se chargera d’y répondre. D’aucuns ont d’ores et déjà tranché sur la question, en évoquant simplement la récente annulation in extremis d’un certain « voyage-immersion »…
Bien plus malin encore, serait celui qui pourrait dire quand cette transition arrivera à son terme. Pour le moment, en plein brouillard, elle suit son petit bonhomme de chemin, cahin-caha. Sans GPS et avec une boussole dont l’aimant ne semble attiré que par le magnétisme dégagé par certains leaders politiques. Notamment celui qui semble le mieux placé pour dire au colonel Doumbouya, à l’issue de la prochaine présidentielle : « merci d’avoir accepté de faire le sale boulot, maintenant ôte-toi de là que je m’y mette » !
C’est vrai qu’à travers une résolution, le Conseil national de la transition (CNT, qui nous tient lieu de représentation nationale non élue) a finalement, comme annoncé par le chef de la junte, fixé à trois ans le temps qu’il faudra, avant qu’un président élu ne pose ses valises à Sékhoutouréya.
Mais le hic, c’est que personne ne sait à partir de quelle date va commencer le compte à rebours. Surtout pas le porte-parole du gouvernement. Interrogé par des journalistes après le vote du CNT, il dira que c’est après la promulgation, ignorant (ou feignant de ne pas savoir) qu’on ne promulgue pas une résolution. Plus tard, face à d’autres reporters, le sourire éclatant et le regard malicieux, il lâchera que le top départ sera le lancement des étapes du chronogramme. Autant dire qu’on n’est pas plus avancé qu’avec notre rusé barbier…
Surprenant ! Personne n’a dû faire remarquer qu’une résolution « parlementaire », contrairement à un projet de loi, ne devrait pas être initiée par l’exécutif, mais élaborée à l’interne par les conseillers. En outre, n’étant pas une loi, qu’elle n’a pas en principe un caractère contraignant sauf dans certains cas bien précis. Cela ne fera que conforter la junte dans sa décision d’entériner la durée fixée par le CNT à travers un communiqué : « le CNRD prend acte… » !
Tant pis pour ceux qui poussent des cris d’orfraie, en dénonçant une violation de l’article 77 de la charte de la transition. Dans leur entendement, confier ce rôle au CNT, en lieu et place du CNRD et des forces vives, conformément à cette disposition, n’a aucun fondement juridique. On a envie de leur demander, du coup, si la charte qu’ils invoquent, elle, en a un.
Même si en prêtant serment, le président de la transition et signataire de la charte a juré (ce qui engage plus qu’une simple promesse) de la respecter et de la faire respecter. Y compris donc en son article 77.
Dans son célèbre roman, Alice au pays des merveilles, le Britannique Carroll Lewis imagine un monde déconcertant qui se joue de la logique et des normes, avec une galerie de personnages retors, malicieux, intrigants, adroits surfant avec aisance sur le paradoxe, l’absurde et le bizarre.
Il faut se l’avouer, notre transition faite d’embrouillaminis, de non-dits, d’incertitudes et aussi d’appréhensions, ressemble de plus en plus à une immersion (le mot en vogue dans la campagne de propagande du gouvernement) dans un univers qui n’en est pas très loin.
Pauvres de nous !
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