Enseignant d’université à la retraite, Etienne Traoré était un responsable syndical et militant clandestin de l’UCB au moment des faits. Il a témoigné ce 18 novembre 2021 à la barre au cours du procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et ses 12 compagnons.
Selon le récit d’Etienne Traoré, les événements l’ont trouvé en ville, l’obligeant à se réfugier chez un parent jusqu’au matin. Le lendemain du coup, il dit recevoir une convocation de la part de Blaise Compaoré pour lui demander une collaboration.
« Le 16 octobre 1987, le matin, Victor Sanfo est venu me chercher pour le conseil. Arrivé, Blaise m’a tiré de côté dans une maison. A deux, il m’a dit qu’hier, il y a eu des problèmes entre nous, on s’est tiré dessus et Sankara est mort. Que mon ami Patrice Zagré était mort aussi. Qu’entre-temps, Gilbert Diendéré a levé la main et ces gens ont compris qu’il fallait attaquer et ils ont attaqué », a-t-il témoigné.
A écouter le témoin, « Blaise Compaoré n’était pas du tout malheureux le lendemain, contrairement à ce que certains font croire ». Il dit avoir cru à la version que Blaise lui a donnée tout en manifestant une désolation face aux faits.
« C’était la première fois qu’il me faisait recevoir par Salif Diallo »
« J’étais convaincu en son temps que Blaise était un révolutionnaire. Je ne savais pas qu’il fréquentait les milieux droitiers. Je croyais que la mort de Sankara était vraiment un accident, or c’était prémédité bien avant », confie-t-il.
Après cela, il s’est engagé à accompagner Blaise Compaoré en effectuant des missions à l’extérieur dans le but d’expliquer les événements du 15 octobre 1987. « Je suis parti en mission à Dakar et en France pour aller expliquer que la mort de Sankara était un accident, sans mal parler de Sankara. Car j’étais convaincu que ce qui s’était passé était un accident », informe-t-il à la barre.
Le témoin Etienne Traoré a aussi été nommé Inspecteur d’Etat à la suite des événements. Selon son récit, c’est l’assassinat du Commandant Lingani en 1989 qui a causé la rupture entre sa personne et le Front Populaire.
« Quand j’ai appris que les gens sont exécutés avec l’affaire Lingani, j’ai cherché à voir le Président pour essayer de comprendre. Je n’ai pas réussi à le voir et c’était la première fois qu’il me faisait recevoir par Salif Diallo », laisse entendre le témoin.
Il avoue avoir été bousculé après sa rupture avec le pouvoir de Blaise Compaoré tout en donnant son analyse sur la survenue des faits. A l’écouter, Blaise avait l’ambition de prendre le pouvoir dès le coup d’Etat de 1983.
« C’est Blaise Compaoré qui était à la tête du commando qui est venu de Pô. Sankara les a attendus à l’entrée et il a dit de laisser, ils vont discuter pour gérer le pouvoir et les Vincent Sigué ont dit c’est trop tard. Blaise voulait le pouvoir, mais c’est Sankara qui était connu et aimé par tout le monde », indique Étienne Traoré.
« Houphouët-Boigny et Eyadema étaient de mèche pour renverser notre révolution »
Aussi le témoin évoque-t-il une « complicité interne » pour renverser Thomas Sankara. « Joseph Ouédraogo a dit à Blaise, ‘toi tu es un vrai mossi, tu fais le coup et tu prends le pouvoir pour donner à quelqu’un d’autre », se rappelle Étienne Traoré.
De son avis Chantal Compaoré, l’épouse de Blaise, n’était qu’une « espionne extérieure » pour évincer Sankara. « Chantal Compaoré a joué un rôle dans la détérioration des relations entre Blaise et Sankara. Blaise avait une fiancée qui participait aux séances débats avec nous, mais Blaise l’a laissée aller épouser cette Ivoirienne sans enquête de moralité, chose qui n’était pas autorisée en son temps », déclare-t-il. Il évoque également le voisinage comme manœuvre essentielle du complot extérieur contre Sankara.
« Houphouët-Boigny (Ancien président ivoirien, Ndlr) n’aimait pas notre révolution. Il n’aimait pas du tout Sankara. Thomas Sankara a été piégé par une bombe dans sa maison en Côte d’Ivoire. Heureusement qu’il n’y était pas et moi j’y crois. Toutes les forces droitières de la sous-région étaient totalement contre Sankara. D’une source sûre, il était prévu que si Blaise Compaoré échouait son coup, un avion était déjà prêt à l’aéroport pour les exfiltrer. Le président Houphouët-Boigny et le président Eyadema étaient de mèche pour renverser notre révolution », révèle-t-il.
Burkina 24