Selon la version officielle, le maréchal président tchadien Déby, premier soutien de la France contre les groupes armés terroristes, est mort au combat, la semaine dernière, face à une colonne de rebelles tchadiens venant de Libye. Une version qui ne convainc guère en Afrique, parmi les alliés français de l’opération Barkhane et les diplomates du continent qui restent sceptiques. Idem pour les opposants qui manifestent contre le nouveau régime.
Après la sidération, les langues se délient. C’est que les circonstances de cette mort restent vagues, et n’ont pas été communiquées par la junte dirigée par l’un des fils du président défunt, désormais au pouvoir avec 14 autres généraux qui ont annoncé une période transitoire de 18 mois avant des élections « libres et démocratiques ». Un processus soutenu par Emmanuel Macron, seul chef d’État occidental à s’être rendu aux obsèques. À peine arrivé à N’Djamena, le Président français a eu un premier entretien avec le général Mahamat « Kaka », fils d’Idriss Déby qui a combattu avec ses troupes, aux côtés des soldats français, contre les jihadistes en 2013, au Mali, pendant l’opération Serval. C’est lui qui a été choisi pour succéder à son père, courageux au combat comme il l’avait déjà montré par le passé. Sauf qu’il aurait été tué, non pas par ses ennemis, mais par des officiers de son premier cercle.
Des responsables militaires conviés sous sa tente
Accompagné de son aide de camp Khoudar Mahamat Acyl, frère de la première dame, le Président Idriss Deby Itno arrive dans la zone de Nokou, dans la province du Kanem, le week-end du 17 avril. Il s’installe à son QG situé à une cinquantaine de kilomètres du front, où se déplacent des pick-ups rebelles lourdement armés, suivis par des aéronefs français qui communiquent leurs positions à l’état-major de Déby. Une aide indispensable dans la guerre du désert. Un opérateur des Forces spéciales françaises fait l’interface. Grâce à ses moyens techniques, il transmet les renseignements des capteurs français aux officiers tchadiens. La bataille, très mobile, a été engagée, sans que vraiment un camp l’emporte sur un autre.
D’où la venue du « patron ». Idriss Déby convie plusieurs responsables militaires à une réunion sous sa tente. À la fin, serait arrivé un général, cousin de l’opposant Yaya Dillo, en fuite depuis que la police, équipée de blindés, a voulu l’arrêter, le 28 février, à son domicile. Sa mère et l’un de ses petits-fils ont été tués. Lui a été exfiltré par des fonctionnaires qui croyaient, dira l’opposant, intervenir sur des rebelles. Le général qui entre dans la tente de Déby, deux mois plus tard, est un parent de la défunte. Il arrive d’un poste avancé qui protège le QG du maréchal. « Eh rebelle, qu’est-ce que tu fais ici ? », lui aurait lancé Idriss Déby, pour qui le mot « rebelle » ne désigne pas l’ennemi venu de Libye. Il traduit le ressentiment qu’il a envers ce général, qui avait refusé de s’associer à l’attaque du domicile de l’opposant Yaya Dillo. « Vous devriez nous rendre le corps de notre tante que vous avez sauvagement assassinée et dont vous confisquez le corps jusqu’à présent… » Une parole de trop qui aurait mis le maréchal hors de lui.
Idriss Déby aurait sorti son pistolet et abattu à bout portant l’officier. Dans la foulée, une rafale retentit. C’est le cousin du général abattu, le sous-lieutenant Umaru Dillo Djérou, qui aurait tiré sur le Président Déby. Suit une fusillade qui cause la mort de plusieurs militaires et en blesse d’autres, dont le général Taher Erda, le patron du renseignement, légèrement touché.
Paris informé sur-le-champ
Grâce à ses officiers de liaison, Paris est informé sur-le-champ de la mort du Président tchadien. Son fils, le général Mahamat « Kaka », qui se trouvait à l’extérieur, sur le champ de bataille, est joint en premier par les autorités françaises. Il aurait parlé avec Emmanuel Macron. Le chef d’état-major général des armées, le général Abdelkerim Daoud, est appelé à son tour. Il est alors convenu que le général Mahamat Idriss Déby à la tête du pays est la solution pour une transition, sans que les mystères qui entourent la mort de son père ne soient révélés.