J’ai été profondément touché d’apprendre, ce matin, le décès de Mlle Sokhona Savané, qui, selon la presse en ligne, a mis fin à ses jours « pour avoir raté le BEPC ». Quelques jours avant, j’avais aussi appris le décès d’un garçon, dans des conditions similaires, pour avoir rencontré des obstacles dans le déroulement du bac. Je connais en outre de nombreux jeunes en Guinée qui ont eu leur avenir brisé par des échecs répétés à ces examens. Pourtant, beaucoup d’entre eux sont à la fois braves et intelligents : dans certains cas, on peut dire que la chance n’était simplement pas de leur côté. Il me semble nettement plus judicieux d’aider nos enfants à continuer librement leurs études jusqu’à la fin du lycée, et que leurs mérites les départagent à travers le prestige des universités où ils s’inscriront par la suite. C’est ce que font certains pays hautement développés, dont le Japon.
Avec un taux d’alphabétisation de 100 % (99,9 exactement) et le record de longévité, le Japon est parmi les pays les plus industrialisés et à l’indice de développement humain le plus élevé de la planète. Pourtant, au Japon il n’y a ni brevet ni bac. Pratiquement on n’y entend même pas parler de redoublants : parents, enseignants et autorités se donnent les mains pour que tous les élèves continuent ensemble jusqu’à la fin du collège ou du lycée. Il y a des tests au milieu et à la fin de chaque trimestre ; les élèves en difficulté sont repérés à temps et font l’objet d’un suivi particulier, dans la plupart des cas. Ceux qui désirent faire des études supérieures sont rassurés, eux-aussi, de trouver chacun une université de son niveau. La différence se résume à la renommée de l’université en question, car chacune a ses exigences, concrétisées par son examen d’entrée. L’Université de Tokyo, par exemple, n’est pas à la portée de tous. D’ailleurs, même les lycées ont leurs rangs et examens correspondants. Toutefois, un élève ne se retrouve jamais en face d’un mur infranchissable dans ses études.
L’exemple du Japon ne vise qu’à démontrer que l’on peut parfaitement bien se passer de ces examens et atteindre un niveau de développement respectable dans tous les domaines. En tout état de cause, les conséquences des échecs au brevet et au bac en Guinée se répercutent de plusieurs manières, car ils freinent beaucoup d’enfants dans leurs études, et partant, réduisent le nombre de bras valides qualifiés pour la nation. Il y a d’ailleurs un autre aspect plus consternant : l’injustice. Pendant que les épreuves sont communes pour tous les élèves sur le territoire national, l’enseignement reçu n’est pas le même partout. Parfois, pour plusieurs raisons, les questions posées aux examens nationaux n’ont jamais été enseignées dans certaines écoles, ce qui n’est donc pas la faute des candidats.
Toute reforme doit se faire avec clairvoyance. Il faut analyser les mesures envisagées de fond en comble avant de les mettre en place, et il faut y aller progressivement. Même si on ne supprime pas d’un coup le brevet et le bac, on peut les alléger considérablement, afin qu’ils ne soient plus des obstacles infranchissables pour les enfants, qui perdent ainsi tout espoir, au point de se donner la mort. La rigueur aux examens peut motiver les élèves ; mais comme dit l’adage, ce n’est pas à force de peser son bétail que le fermier peut engraisser ses animaux, c’est plutôt à travers leur alimentation qu’il peut le faire. Autrement dit, ce n’est pas en infligeant à ses enfants des examens meurtriers que la Guinée peut améliorer son système éducatif ; c’est plutôt en faisant prévaloir la qualité de l’enseignement dispensé dans le pays et en facilitant sa continuation.