Le présent rapport du Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en Guinée (HCDH) examine la situation des droits de l’homme dans les lieux de détention (locaux de garde-à-vue et prisons) en République de Guinée à la lumière des règles et standards internationaux et nationaux applicables en matière de privation de liberté. Ce rapport est le résultat du travail d’observation des fonctionnaires des droits de l’homme du HCDH dans l’ensemble du pays , entre janvier 2012 et juin 2014. Le rapport décrit les conditions de détention et relève les cas de violations des droits de l’homme liés à ces conditions.
Par ailleurs, le rapport rend compte des actions menées par le gouvernement et d’autres partenaires en vue de la redynamisation du système pénal en Guinée, et formule des recommandations à l’intention des différents acteurs intervenant dans la chaîne pénale.
Selon les conclusions du HCDH, le régime de privation de liberté en Guinée ne respecte pas, à plusieurs égards, les normes et standards internationaux et nationaux applicables en matière de détention.
Les postes de garde-à-vue et les prisons sont caractérisés par la vétusté et l’exiguïté des locaux ainsi que par la surpopulation carcérale, ce qui porte atteinte au droit à la dignité des détenus. Dans certains postes de garde-à-vue, les adultes et les mineurs ne sont pas détenus séparément. Il en va ainsi dans la plupart des prisons du pays où prévenus et condamnés, adultes et mineurs, voire hommes et femmes sont détenus soit dans les mêmes cellules, soit dans les mêmes couloirs ou vérandas.
L’application des droits fondamentaux et garanties procédurales, comme le droit au respect de l’intégrité physique et morale, le droit à la défense au cours d’un procès pénal et le droit de toute personne interpellée d’être traduite devant un juge dans un bref délai et d’être jugée dans un délai raisonnable, souffre de sérieuses restrictions. Les délais légaux de garde-à-vue et de détention provisoire sont quasi systématiquement violés.
Les fonctionnaires du HCDH ont visité les 30 prisons fonctionnelles sur les 34 que compte la Guinée. Ils ont également visité tous les commissariats centraux de police, tous les escadrons mobiles et départementaux ainsi que les brigades de recherches de gendarmerie.
Toutefois, se fondant sur les recommandations des états généraux de la justice de mars 2011 , le gouvernement guinéen a pris différentes mesures visant à l’amélioration des conditions de détention. Ces mesures ont notamment abouti, en 2013, à l’amélioration de l’alimentation dans les prisons, à la construction et la reconstruction de prisons et d’infrastructures du système judiciaire, de la police et de la gendarmerie. L’Etat s’est également engagé dans un processus de réforme du secteur de la sécurité, dont les effets commencent à se ressentir dans le comportement de certains officiers de police judiciaire.
Néanmoins, des efforts soutenus doivent être fournis en vue d’améliorer de manière significative les conditions de détention.
Le présent rapport comporte des recommandations concrètes à l’intention du gouvernement en vue d’un plus grand respect des droits des personnes privées de liberté et de l’amélioration de leurs conditions de détention. Le HCDH encourage notamment le gouvernement à ratifier les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Etat guinéen n’a pas encore adhéré, notamment le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; à accélérer la mise en application des recommandations issues des états-généraux de la justice, en particulier celles visant à rapprocher la justice des justiciables ; à professionnaliser davantage les agents des services répressifs ; et à mettre en œuvre les recommandations du Comité contre la torture.
En outre, les partenaires nationaux et internationaux sont invités à soutenir et accompagner le gouvernement dans sa volonté de réformer le secteur de la sécurité et l’amélioration des conditions de détention des personnes privées de liberté.
I. INTRODUCTION
1. Depuis décembre 2010 , Le Président et le gouvernement de la République de Guinée ont affirmé, à de nombreuses occasions, leur volonté de faire de la promotion et de la protection des droits de l’homme une priorité de leur programme de société.
2. La réalisation de cet objectif passe nécessairement par des réformes profondes permettant de faire de la jouissance des droits fondamentaux une prérogative garantie pour tous, sans discrimination aucune. Le respect du droit à la liberté, du droit d’être traité avec dignité et humanité, du droit à l’intégrité physique et morale et des garanties judiciaires fondamentales, tels qu’ils sont garantis par les lois guinéennes et les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits et libertés de la personne humaine ratifiés par la Guinée, sont au cœur des activités de protection du Bureau du HCDH. La protection de ces droits inaliénables doit être garantie à chaque individu, et la situation des personnes privées de liberté devrait faire l’objet d’une attention particulière compte tenu de la vulnérabilité induite par la détention.
3. Dans son rapport du 13 avril 2012 au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/19/49), la
Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme recommandait à l’Etat guinéen d’accorder une plus grande attention au respect des procédures d’interpellation, d’interrogation et de mise en détention des suspects d’infractions pénales. Ledit rapport recommandait aux autorités nationales concernées de prendre des mesures concrètes en vue d’un plus grand respect de ces règles, y compris en luttant contre la torture dans les lieux de détention, notamment les postes de garde-à-vue de la gendarmerie et de la police.
4. En dépit de l’engagement du gouvernement en faveur des droits de l’homme, tel que démontré par la création, le 5 octobre 2012, d’un Ministère des droits de l’homme et des libertés publiques, et le lancement d’un programme de réforme des secteurs de la sécurité et de la justice en mars 2011, de réelles préoccupations demeurent concernant la situation / le traitement des personnes en détention, tant au niveau des postes de police et de gendarmerie que dans les prisons où de sérieux problèmes persistent : surpopulation carcérale, cas de torture et de mauvais traitements, non séparation catégorielle des détenus, dépassement des délais de garde à vue, détention préventive prolongée, visites monnayées, etc.
A. Objectifs
5. Le présent rapport a pour objectif de rappeler à l’Etat guinéen ses obligations en vertu des normes et standards internationaux applicables en matière de détention, d’identifier les principaux droits violés et les causes de ces violations, et de recommander aux autorités nationales et aux partenaires locaux et internationaux des mesures visant à un plus grand respect des droits de l’homme dans le contexte carcéral.
6.
B. Méthodologie
7. La visite des lieux de détention en vue de s’assurer de la conformité du traitement des personnes détenues aux normes et standards internationaux en la matière est l’une des activités du bureau du HCDH en Guinée. De janvier 2012 à juin 2014, les fonctionnaires des droits de l’homme du Bureau du HCDH en Guinée ont effectué des missions dans les 33 préfectures de Guinée et les cinq communes de la capitale. Ils ont ainsi visité 30 prisons, où étaient alors détenues 3.110 personnes, dont 1.758 en détention provisoire et 1.350 condamnés. Parmi les détenus, il y avait 120 femmes, dont 26 condamnées et 96 prévenues, et 172 mineurs dont 35 condamnés et 126 en attente d’être jugés.
Parmi les 3.110 détenus, on dénombrait aussi 87 étrangers, dont 37 condamnés et 50 prévenus, et 37 personnes atteintes de / souffrant de handicaps mentaux. Les fonctionnaires du HCDH se sont entretenus avec 284 personnes en détentions, dont 19 femmes et 48 enfants, dans 53 postes de garde-à-vue de la police et de la gendarmerie. Ils ont également rencontré les autorités régionales, préfectorales, des représentants de la société civile et tous les intervenants dans la chaîne pénale – des officiers de police judiciaire (OPJ), aux agents de l’administration pénitentiaire, en passant par les magistrats de parquet et de siège des différentes localités visitées.
8. La distance entre les préfectures et l’absence de registres informatisés ont rendu difficile l’obtention des informations. Aussi, les registres n’étant pas toujours à jour, il était difficile de déterminer le nombre effectif de détenus dans les prisons visitées. En outre, lors de ses visites dans les prisons, le HCDH n’a pas pu systématiquement s’entretenir avec toutes les personnes détenues du fait que certaines faisaient des travaux d’utilité publique
C. Coopération avec les autorités
9. Les autorités guinéennes, à tous les niveaux, ont fait preuve d’une franche collaboration avec le bureau du HCDH depuis son installation en Guinée en mai 2010. Dans le cadre des enquêtes relatées dans le présent rapport, les autorités régionales et préfectorales, les magistrats et auxiliaires de justice, l’administration pénitentiaire et les services de la police et de la gendarmerie se sont inscrits dans une logique de partenariat qui a permis aux fonctionnaires des droits de l’homme du HCDH de recueillir les informations nécessaires à la compréhension et à l’analyse de toutes les facettes de la problématique traitée. Les fonctionnaires des droits de l’homme ont ainsi eu un accès sans entrave aux prisons et lieux de détention à travers tout le pays. Ils ont également eu des entretiens soutenus avec l’ensemble des interlocuteurs sur la problématique de la détention, les conditions de travail des magistrats, des responsables chargés de l’application des lois et du personnel pénitentiaire, ainsi que sur leurs difficultés et les perspectives.
II. CADRE JURIDIQUE
A. Droit international applicable
10. De nombreux instruments conventionnels et non conventionnels relatifs aux droits de l’homme réglementent les conditions dans lesquelles un individu peut être privé de sa liberté,
étant entendu que la liberté demeure le principe et la détention l’exception.
11. Sur le plan conventionnel, la République de Guinée a ratifié la majorité des conventions internationales relatives aux droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Lesdites conventions consacrent le droit à la liberté et à la sûreté de l’individu, un droit que les pouvoirs publics ne sauraient restreindre que dans les conditions et formes prévues par la loi.
Les Etats parties à ces conventions ont non seulement l’obligation de respecter et de protéger les droits qu’elles garantissent, mais également de prévenir et de punir toute violation de ceux-ci. A ces obligations, s’ajoute celle de mettre en œuvre et de promouvoir ces droits.
12. Concernant le placement en détention, des règles et principes directeurs ont été adoptés par divers organes des Nations unies afin de guider les Etats dans la mise en œuvre de leurs obligations internationales. A cet égard, il convient de citer « l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus » (ensemble de règles minima) et « l’ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ». (Ensemble des principes). En tenant compte des impératifs évidents de protection induits par la détention, ces textes prévoient une séparation entre les différentes catégories de personnes détenues, notamment entre hommes et femmes, adultes et mineurs, puis condamnés et accusés ou prévenus. De nombreux instruments internationaux encouragent également des protections spécifiques ainsi que le recours à des mesures alternatives aux peines privatives de liberté, particulièrement pour les femmes et les personnes de moins de 18 ans.
B. Droit régional applicable
13. Des conventions relatives aux droits de l’homme ont également été élaborées sous l’égide de l’Organisation de l’Unité africaine, devenue Union africaine, dont la Guinée est membre. A cet égard, il convient de citer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le peuples et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique et la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant. Ces traités consacrent des droits déjà reconnus dans les textes internationaux susmentionnés.
Plus particulièrement, la réglementation du régime de privation de liberté est une préoccupation de l’Union africaine telle que le démontre l’adoption par ses Etats membres de la Déclaration d’Arusha sur les bonnes pratiques pénitentiaires, la Déclaration de Kampala sur les conditions de détention en Afrique et la Déclaration et le Plan d’action de Ouagadougou pour accélérer la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique. Ces textes rappellent les normes internationales et mettent l’accent sur la nécessité d’instaurer des systèmes de privation de liberté et pénitentiaires plus respectueux des droits et de la dignité de la personne humaine.
14. Au niveau sous-régional, la République de Guinée a ratifié le Traité de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’ensemble des Protocoles additionnels, notamment le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance dont l’article 1er (h) prévoit que « Les droits contenus dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et les instruments internationaux sont garantis dans chacun des Etats membres de la CEDEAO ; tout individu ou toute organisation a la faculté de se faire assurer cette garantie par les juridictions de droit commun ou par une juridiction spéciale ou par toute institution nationale créée dans le cadre d’un instrument international des droits de la personne ».
Les droits garantis par les traités de la CEDEAO et leur respect de la part des Etats Membres sont contrôlés par une juridiction communautaire de plein contentieux.
C. Droit interne applicable
15. Dans son préambule, la Constitution guinéenne du 7 mai 2010 proclame son adhésion aux droits reconnus dans la Charte des Nations unies et les principaux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme. En vertu de l’article 151 de la constitution, « Les traités ou accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve de réciprocité ». Dans son titre II, la Loi fondamentale affirme le caractère sacré de la dignité humaine, protège les droits fondamentaux et consacre les libertés publiques individuelles et collectives.
16. Sur le plan législatif, un certain nombre de textes consacrent les droits et libertés proclamés par les textes internationaux et la constitution, en particulier le Code de procédure pénale (CPP), le Code pénal15 et le Code de l’enfant16.
III. CADRE INSTITUTIONNEL
A. La Police nationale
17. La police nationale relève du ministère de la sécurité et de la protection civile. Différentes unités de la police ont autorité pour arrêter et détenir. La police nationale comprend les commissariats centraux, les commissariats urbains, les postes de police et les commissariats spéciaux. Selon l’organigramme officiel, il existe un commissariat central dans chaque préfecture, duquel relèvent les commissariats urbains et les postes de police. Dans la ville de Conakry, on dénombre sept commissariats centraux dont deux dans la commune de Ratoma, deux dans celle de Matoto, un à Kaloum, à Dixinn et à Matam.
18. A côté de ces unités, il existe des commissariats spéciaux et des unités d’intervention dont les Compagnies mobiles d’intervention et de sécurité (CMIS) et les brigades anticriminalité (BAC) constituant une unité mixte composée de policiers et de gendarmes.
B. La Gendarmerie nationale
19. La Gendarmerie nationale relève du ministère de la défense et est dirigée par le HautCommandement de la gendarmerie nationale/ direction de la justice militaire. Elle est organisée en unités régionales, préfectorales et sous-préfectorales. Elle comprend également des escadrons mobiles chargés des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre.
20. La qualité d’officier et d’agent de police judiciaire est conférée à la fois à des policiers et à des gendarmes. Cette qualité leur permet, aux termes de l’article 11 du CPP, d’intervenir dans la recherche des infractions, le rassemblement des preuves et la livraison des auteurs à la justice. Ceci implique la possibilité de mettre des suspects en garde-à-vue.
C. Le système judiciaire
21. La Cour Suprême est l’organe juridictionnel et consultatif le plus élevé de l’ordre administratif et judiciaire en Guinée. Elle est composée de trois chambres: la Chambre constitutionnelle et administrative, la Chambre civile, pénale, commerciale et sociale et la Chambre des comptes. La Constitution du 7 mai 2010 a fait de chacune de ces chambres une juridiction autonome. Le premier degré de juridiction est formé de dix tribunaux de première instance (TPI) et de justices de paix. On dénombre trois TPI à Conakry, et un dans les chefslieux des régions administratives de Boké, Faranah, Kankan, Kindia, Labé, Mamou et Nzérékoré. Au niveau de chaque TPI, il existe un ou plusieurs juges d’instruction, et le parquet y est composé d’un Procureur de la République et de ses substituts.
22. Une Justice de Paix, composée d’un juge unique qui exerce à la fois les fonctions de poursuite, d’instruction, de jugement et de contrôle de l’application des peines, siège dans les
15 Loi N°036/AN/98 du 31 décembre 1998 portant Code pénal.
16Loi L/2008/011/AN du 19 août 2008 portant Code de l’Enfant guinéen.
préfectures. .
23. Le second degré de juridiction est assuré par la cour d’appel de Conakry, qui couvrent les régions naturelles de la Basse et de la Moyenne-Guinée, et celle de Kankan dont la compétence territoriale s’étend sur la Haute-Guinée et la Guinée forestière. Les affaires criminelles sont jugées par les cours d’appel qui siègent en assises.
D. Administration pénitentiaire
24. Concernant la carte pénitentiaire de la Guinée, dans chaque lieu de domiciliation d’un
TPI, il existe une maison centrale, à l’exception de Conakry où la Maison centrale couvre trois TPI. La grande majorité des préfectures dans lesquelles sont affectés des juges de paix disposent d’une prison civile, à l’exception de Macenta en Guinée Forestière, de Mandiana en Haute-Guinée et de Koubia et Tougé en Moyenne Guinée. Il n’existe pas d’institutions psychiatriques pour les détenus ayant besoin d’un suivi psychologique et médical. La Guinée compte en tout huit Maisons centrales, dont cinq sont du ressort de Conakry et trois du ressort de Kankan, ainsi que 23 prisons civiles, dont 13 du ressort de Conakry et 10 du ressort de Kankan, soit un total de 31 établissements pénitentiaires.
25. Au sein de chaque capitale de région administrative, on trouve des cellules pour le placement en garde-à-vue au niveau de la Direction régionale de la sûreté, du Commissariat central, voire commissariat urbain, de la compagnie mobile d’intervention de la sécurité (CMIS), de la gendarmerie régionale, de la compagnie de la gendarmerie territoriale et au sein de l’escadron mobile de la gendarmerie. Quant aux autres préfectures, elles ne disposent que de locaux de garde-à-vue au sein des postes de police et de gendarmerie.
26. S’agissant des prisons, les articles 768 et suivants du CPP distinguent les maisons d’arrêt, maisons centrales et prisons civiles. Les maisons d’arrêt sont destinées à la détention des inculpés, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire. Théoriquement, il existe une maison d’arrêt auprès de chaque tribunal de première instance et de chaque justice de paix. Tandis que les Maisons centrales constituent des établissements pénitentiaires où les condamnés purgent leur peine, qu’il s’agisse d’une réclusion criminelle à perpétuité ou d’autres peines privatives de liberté, les prisons civiles reçoivent les personnes condamnées pour délits. Dans la pratique, les prisons des chefs-lieux des régions administratives sont appelées Maisons centrales, celles des préfectures, prisons civiles. Elles reçoivent aussi bien des condamnés que des accusés ou prévenus.
IV. LES PRINCIPAUX DROITS CONCERNES DANS LE CADRE DE LA DETENTION
27. La surveillance des conditions auxquelles les détenus sont soumis a pour objet de s’assurer de la conformité des locaux et du traitement des détenus avec les standards internationaux et nationaux en matière de détention.
Le dénominateur commun des lieux de détention visités par le HCDH – prisons, et postes de garde à vue de la police et de la gendarmerie – est la vétusté et l’exiguïté des locaux. Néanmoins une différence nette s’observe dans les conditions de détention entre les postes de garde-à-vue et les prisons proprement dites. En effet, contrairement aux postes de garde-à-vue, le respect de l’intégrité physique, le droit à l’alimentation et aux soins de santé sont partiellement respectés dans les prisons.
28. Le présent rapport met un accent particulier sur la situation des droits fondamentaux suivants :
A. Droit d’être traité avec dignité et humanité
29. L’article 10, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine». Le principe premier de l’«Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement» est rédigé dans une formulation quasi-identique.
30. La constitution guinéenne, dans son article 5, proclame que « la personne humaine et sa dignité sont sacrées » et impose à l’Etat l’obligation de les respecter. Cependant cette obligation est encore loin d’être respectée en pratique.
31. Les locaux de garde-à-vue en Guinée sont caractérisés par leur exiguïté et leur insalubrité. Les grandes grèves syndicales de 2007 et la crise politique qu’elles ont provoquées ont conduit des citoyens à vandaliser ou à détruire les locaux de l’administration publique, y compris les infrastructures judiciaires, dans 31 des 33 préfectures que compte le pays. Les unités de police et de gendarmerie ainsi que les prisons sont pour la plupart soit des résidus des anciens locaux détruits, soit des bâtiments d’infortune attribués ou prêtés par d’autres administrations ou loués à des particuliers.
Le manque d’entretien dont souffrent ces locaux, ajouté à leur configuration même, aggravent les risques de violations du droit au respect de la dignité. Les cellules y sont restreintes, obscures, surchauffées et insalubres. Elles manquent d’aération et de latrines décentes. Les détenus sont souvent obligés de faire leurs besoins sur place, dans des seaux ou sont escortés à l’extérieur. Ils dorment à même le sol. Les fonctionnaires des droits de l’homme du HCDH ont également constaté la détention de suspects dans un conteneur à l’escadron mobile N°1 de Kaloum à Conakry et à Koulé.
32. La caractéristique commune de ces centres de détention est qu’ils ont quasiment tous été construits pendant la période coloniale ou au cours des premières années de l’indépendance, pour un nombre très réduit de prisonniers. Outre leur vétusté, ces établissements sont, pour la plupart, largement au-dessus de leur capacité d’accueil réelle.
Par exemple à la Maison centrale de Conakry, qui est le plus grand centre de détention du pays, l’on dénombrait, au moment de la finalisation du présent rapport, un nombre total de 1 140 détenus, alors que ce bâtiment avait été construit pour accueillir quelques 300 personnes.
33. La quasi-totalité des prisons guinéennes sont surpeuplées, notamment les maisons centrales des sept capitales administratives que sont Boké, Faranah, Kankan, Kindia, Labé, Mamou et Nzérékoré et la région spéciale de Conakry. La surpopulation touche plus les prisons de la Basse-Guinée que celles des autres régions.
Les maisons centrales de Conakry et de Kindia, ainsi que les prisons civiles de Coyah et de Dubréka, sont également fortement touchées par ce phénomène. Le recours quasi-systématique aux mesures de détention provisoire et la non-tenue régulière des audiences, y compris en assises, sont les principales causes de la surpopulation dans ces prisons. Le HCDH a en effet constaté un écart considérable entre le nombre de prévenus et de condamnés.
A la Maison centrale de Conakry, par exemple, parmi les 1.140 détenus dénombrés en mai 2013, 250 étaient condamnés alors que 890 étaient en détention provisoire.
34. Une plus grande célérité dans le traitement des dossiers des suspects gardés à vue et des personnes en détention provisoire, ainsi que le recours à des mesures alternatives à la détention, permettraient de résoudre, en partie, le problème de surpopulation carcérale et contribueraient à améliorer les conditions de détention.
Par ailleurs, le droit aux conditions minima respectant la dignité des détenus est largement tributaire à la fois du comportement des agents et des locaux dont disposent les OPJ et l’administration pénitentiaire.
B. Le principe de séparation catégorielle des détenus
35. En vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et selon le point 8 de « l’ensemble de règles minima », une séparation physique doit être opérée entre les détenus en fonction de leur sexe, âge, antécédent, motifs de la détention et des exigences de leur traitement. En outre, aux termes des articles 770, 771 et suivants du CPP, les établissements pénitentiaires doivent être organisés de telle sorte que les différentes catégories de détenus soient placées dans des locaux ou quartiers différents, en fonction de leur sexe, statut et âge.
36. Dans les postes de garde-à-vue en Guinée, le manque de cellules conduit souvent les OPJ à placer adultes et mineurs dans les mêmes cellules. Les femmes ne sont généralement pas détenues dans les cellules mais sont retenues dans les couloirs, salons, vérandas, à côté des chefs de poste, sans disposition particulière en rapport avec leurs besoins spécifiques. Cet état de fait est de nature à placer les mineurs détenus sous l’influence de criminels récidivistes et exposer les femmes à d’éventuelles violations des droits de l’homme telles que les violences sexuelles et humiliations.
37. Il n’existe pas de prison réservée aux femmes en Guinée. Les locaux des établissements pénitentiaires ne permettent généralement pas une séparation entre hommes et femmes, condamnés et prévenus. En effet, certains bâtiments qui servent de prison n’ont pas été aménagés à cet effet, et ceux qui l’ont été ne prévoient pas de possibilité de séparation, étant donné qu’à l’époque, la prison était quasi-exclusivement conçue pour des hommes adultes. Cet état de fait, combiné avec le nombre croissant de détenus, oblige les agents de l’administration pénitentiaire à regrouper les condamnés et prévenus dans les mêmes cellules. Les femmes sont souvent emprisonnées dans le même bâtiment que leurs codétenus hommes, dans des cellules adjacentes ou contiguës, avec des sanitaires communs par endroits. Les fonctionnaires des droits de l’homme du HCDH ont constaté à la prison civile de Koundara, dans la Région de Boké, et celle de Dalaba dans la Région de Mamou, que les seules femmes qui y étaient, partageaient tout, dans la même enceinte, avec leurs co-détenus hommes et mineurs.
38. En l’absence de centre de réhabilitation pour mineurs, les enfants en conflit avec la loi sont détenus dans les mêmes locaux que les adultes dans la plupart des prisons du pays, comme à Dubreka, Forécariah, Coyah et Boké en Basse-Guinée et à Pita, Lélouma et Dalaba en Moyenne-Guinée. La maison centrale de Conakry dispose d’un quartier pour mineurs, mais le HCDH a constaté que beaucoup d’adultes y sont également détenus.
L’administration pénitentiaire maintient que cette situation est due à la surpopulation carcérale, mais certaines sources ont rapporté au HCDH qu’un traitement de faveur accordé à certains détenus adultes, souvent à titre onéreux, serait à la base de cette pratique.
39. D’autre part, l’absence de prison civile dans certaines localités a un sérieux impact sur la situation des détenus. À Macenta, par exemple, en l’absence de prison civile, les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale, les personnes prévenues et celles condamnées sont détenues dans les mêmes cellules de la compagnie de la gendarmerie territoriale et de la police.
Certains sont transférés à la maison centrale de Nzérékoré ou à la prison civile de Guéckédou. Toutefois, ce transfert engendre des coûts et peut prendre du temps. Par ailleurs, tel que l’a souligné le juge de paix de Macenta, au cours d’une même affaire, peut se poser un problème de communication entre les personnes interpelées pour les besoins de l’enquête et celles déférées à la justice, ce qui peut nuire à l’investigation.
C. Droit à la santé
40. Les règles 22 à 26 de « l’ensemble de règles minima » exigent que les établissements pénitentiaires soit dotés d’au moins d’un médecin, de produits pharmaceutiques et des services nécessaires à la préservation de la santé des détenus, y compris des services de psychiatrie, de maternité et de médecine dentaire. L’article 15 de la constitution guinéenne dispose que « chacun a droit à la santé et au bien-être physique. L’État a le devoir de les promouvoir, de lutter contre les épidémies et les fléaux sociaux ».
41. Le non-respect du droit à la santé et à l’accès aux soins des personnes privées de liberté en Guinée fait partie des préoccupations principales du HCDH. Pendant la garde-à-vue, les suspects n’ont pratiquement aucune possibilité d’être consultés par un médecin. A l’occasion de ses visites, le HCDH a rencontré des personnes malades, d’autres sévèrement battues par des agents de la gendarmerie ou de la police ou encore des personnes qui restent détenues pendant plusieurs jours sans avoir la possibilité de se faire soigner. Les suspects qui parviennent à se faire examiner par du personnel soignant s’acquittent eux-mêmes de leurs frais médicaux.
42. A l’exception de l’escadron mobile N°3 de la commune de Matam, à Conakry, les fonctionnaires des droits de l’homme du HCDH n’ont constaté aucune unité de santé auprès d’un poste de garde-à-vue en Guinée.
Or, aux termes de l’article 64 du CPP, s’il l’estime nécessaire, ou à la requête de la famille de la personne gardée à vue, le Procureur de la République peut désigner un médecin pour examiner la requête. En vertu du paragraphe 2 du même article, après 48 heures de garde-à-vue, l’examen médical devient un droit si la personne retenue le demande. Or, la plupart des suspects ignorent ce droit et, par conséquent, ne le revendiquent pas, ou se le voient refuser s’ils l’invoquent.
43. Contrairement aux postes de police et de gendarmerie, les prisons disposent d’unités de soin ou bénéficient des services de personnel de santé chargé de rendre périodiquement visite aux détenus, en général une fois par semaine, ou lorsque l’état de santé d’un détenu l’exige.
Cependant, la réalisation du droit à la santé souffre d’une sérieuse limite dans les prisons, notamment dans les cas où l’état de santé du détenu nécessite des soins spécialisés ou continus. En effet, les infirmeries des prisons ne fournissent que des soins et des médicaments de base.
44. Concernant le cas des détenus souffrant de handicap mental ou d’une pathologie mentale, il n’existe pas de centres de détention ou de soins spécifiques pour leur prise en charge. Le centre psychiatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Donka, à Conakry, est le seul dans le pays. Dans les prisons civiles de Mali et de Forécariah, tout comme dans les Maisons centrales de Beyla, Kankan, Labé et de Nzérékoré, le HCDH a constaté la présence de détenus souffrant d’un handicap mental ou d’une pathologie mentale qui ne sont soumis à aucun soin spécifique.
Il y a également lieu de signaler que l’extraction d’un détenu pour des soins externes est soumise à une longue procédure administrative et est à la charge exclusive de celui-ci ou des membres de sa famille.
45. En dépit de ces insuffisances, le HCDH a enregistré un nombre relativement faible de cas de décès survenus lors de la détention au cours de la période couverte par le présent rapport.
Onze cas de mort en détention ont été enregistrés par les fonctionnaires du HCDH, dont quatre dans la Maison centrale de Conakry, six dans celle de Nzérékoré et un dans celle de Kankan. Selon les médecins, la plupart de ces décès ne sont pas dus aux conditions de détention, mais plutôt de causes naturelles. Il y a lieu de préciser que trois des six détenus morts à Nzérékoré étaient pris en charge à l’hôpital régional au moment de leur décès.
D. Droit à l’alimentation
46. Selon la règle 20 de l’ensemble de règles minima, «tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces ».
47. L’application du droit à l’alimentation dans les lieux de détention en Guinée constitue une source de vive préoccupation pour le HCDH. Dans les locaux de garde-à-vue, les suspects sont nourris par leurs familles, grâce à la solidarité des codétenus ou encore par la générosité de certains agents.
Les OPJ affirment ne disposer d’aucun budget pour l’alimentation des personnes gardées à vue. Les autorités justifient cet état de fait par le manque de moyens financiers. Il en va autrement dans les prisons, car le ministère de la justice, par le biais de la Direction nationale de l’Administration pénitentiaire, prend en charge l’alimentation des détenus.
48. Depuis janvier 2013, le gouvernement a pris des mesures, avec l’appui du Comité international de la Croix-Rouge, afin d’améliorer l’alimentation dans les établissements pénitentiaires.
Dans la plupart des établissements pénitentiaires de Guinée, les prisonniers reçoivent désormais un petit déjeuner et un déjeuner. Cependant, la quasi-totalité des détenus se plaignent de la quantité et de la qualité insuffisante des repas fournis. Afin de remédier aux cas de malnutrition et de sous-alimentation, le CICR effectue régulièrement la pesée et des examens médicaux des détenus, et apporte un soutien considérable à l’administration pénitentiaire en distribuant des biscuits énergétiques et hypocaloriques aux prisonniers présentant des carences alimentaires.
E. Droit aux visites
49. Le droit à avoir un contact avec le monde extérieur par correspondance ou par la visite de membres de la famille ou de proches est reconnu aux personnes privées de liberté par la règle 27 de «l’ensemble de règles minima». En République de Guinée, ce droit n’est pas soumis à une application uniforme dans les locaux de garde-à-vue.
Le respect de ce droit dépend souvent de la nature de l’infraction que le gardé à vue est soupçonné avoir commise, et de la bonne volonté de l’agent en poste.
Pour les suspects d’infractions liées au grand banditisme, par exemple, l’application du droit à la visite est soumise à de sérieuses restrictions. Des agents de la police et de la gendarmerie refusent aux membres de la famille l’accès au suspect sous prétexte d’instructions reçues dans ce sens de la part de la « hiérarchie » ou du « chef », comme c’est la pratique à la CMIS de Camayenne à Conakry. En réalité, ceci est une illustration du comportement arbitraire et abusif de certains agents de l’Etat.
50. Ce droit s’applique différemment dans les prisons. L’administration pénitentiaire règlemente et aménage des jours ou des horaires, selon les exigences, pour la visite aux prisonniers. Le HCDH a toutefois recueilli un nombre important de témoignages faisant état de paiement de sommes d’argent au personnel pénitentiaire, par les détenus ou par les visiteurs, pour leur permettre de voir leurs proches en détention. En 2013, le HCDH a mené une enquête à la Maison centrale de Nzérékoré, au cours de laquelle 150 détenus sur 204 ont été interrogés, et a abouti aux conclusions suivantes : 64 sur 150 détenus ont déclaré avoir dû payer en moyenne la somme de 100 000 GNF (environ 16 USD), au titre des droits du régisseur au moment de leur transfert en prison. 68 sur 150 détenus ont déclaré avoir dû payer en moyenne la somme de 50 000 GNF (environ 8 USD) au Chef de Cour au moment de leur transfert en prison.
84 sur 150 détenus ont confirmé que leur famille et proches sont tenus de payer de 2 000 à 5 000 GNF (moins d’1 USD) pour pouvoir leur rendre visite. La même pratique a été portée à l’attention du HCDH à Boké, Forécariah et Conakry en Basse-Guinée. Quant aux détenus, la plupart d’entre eux doivent payer 2 000 GNF pour la « levée de barrage » afin de retourner dans leur cellule à la fin de la visite. Face à cette pratique manifestement illégale, aucune mesure punitive n’a été imposée par les autorités. En conséquence, ceci perpétue inévitablement l’apparente impunité dont jouissent ces agents dans leurs relations avec les personnes détenues.
F. Interdiction de la torture et des mauvais traitements
51. La torture et les mauvais traitements ont longtemps été une pratique répandue dans les lieux de détention en Guinée, d’autant plus que la définition de cette notion est absente du catalogue répressif guinéen. Le terme torture n’est employé qu’à l’article 287 du Code pénal qui prévoit que : « Seront également punis de mort tous malfaiteurs qui, pour l’exécution de leurs crimes, emploient des tortures ou commettent des actes de barbarie », ainsi qu’à l’article 335 du même code, qui prévoit la réclusion criminelle à perpétuité si les personnes arrêtées, détenues ou séquestrées, ont été soumises à des tortures corporelles. Dans les dispositions précitées, les actes de torture constituent des circonstances aggravantes. Néanmoins, le Code pénal ne comporte ni incrimination ni définition spécifique de la torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant en tant que tel.
52. La République de Guinée a ratifié, le 10 octobre 1989, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont l’article 2, paragraphe 1, impose aux Etats parties l’obligation d’adopter des mesures d’ordre législatif, administratif, judiciaire ou autres pour empêcher la commission d’actes de torture sur tout territoire sous leur contrôle. L’article 1er, paragraphe 1, de cette Convention dispose qu’« Aux fins de la présente convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aigues, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit , lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».
53. Dans les postes de garde-à-vue, la pratique de la torture persiste encore par endroits. De février 2011 au début du deuxième semestre de 2012, le HCDH a pu documenter 14 cas avérés de torture et de mauvais traitement, notamment dans les unités de gendarmerie à Conakry, Kindia et Labé, dont deux ont entrainé la mort d’une victime. Les efforts conjugués de certains services de sécurité, du HCDH et d‘ONG nationales et internationales, ont contribué à faire baisser sensiblement les cas de torture dans les postes de garde-à-vue. Au cours de l’année 2013, le HCDH a rencontré huit personnes ayant subi des mauvais traitements au cours de leur interpellation par des éléments de la nouvelle brigade anti-criminalité (BAC) – composés d’éléments de la police et de la gendarmerie.
A cours des visites de lieux de détention pendant le premier trimestre de l’année 2013, les fonctionnaires du HCDH ont rencontré trois personnes au Bureau des investigations judiciaires (BIJ) de la gendarmerie, situé dans la Commune de Matam, à Conakry, qui avaient été ligotés et sévèrement battus pendant des jours par des éléments de la BAC avant d’être mis à la disposition du BIJ. De même, en septembre 2012, une dizaine de suspects interpellés par la BAC à Lansanayah, dans la Commune de Coyah, avaient été ligotés et sévèrement battus en vue d’obtenir des aveux ou des dénonciations des complices présumés.
54. Par ailleurs, le HCDH a pu constater des cas de torture et de mauvais traitements en Haute-Guinée et Guinée forestière. A titre d’exemple, au poste de gendarmerie de Mandiana, dans la région administrative de Kankan, un détenu avait été déshabillé avant d’être placé dans sa cellule toute la nuit. Selon les gendarmes de garde, cette pratique, à laquelle ils ont admis avoir fréquemment recours, vise à éviter les évasions. A la prison civile de Dinguiraye, dans la région administrative de Faranah, trois détenus ont déclaré avoir subi des actes de torture et de traitements inhumains lors de leur garde-à-vue au poste de gendarmerie durant laquelle ils auraient été attachés et roués de coups par des gendarmes. A la Maison centrale de Kankan, en février 2013, 26 prisonniers, soit un quart des personnes interrogées, ont déclaré avoir été
victimes d’actes de torture et de mauvais traitements lors de leur arrestation et placement en garde-à-vue.
55. D’après le constat du HCDH, le recours systématique à la torture a pratiquement disparu dans les prisons guinéennes. Les quelques cas rapportés ont eu lieu au cours de l’arrestation ou de l’enquête préliminaire. Les principales causes semblent relever de l’acharnement de certains OPJ à obtenir des suspects, des aveux ou des dénonciations de complices ou commanditaires, ou la volonté d’infliger une punition à la personne gardée à vue. La méconnaissance et l’ignorance de la loi de la part de certains agents expliquent également le recours à cette pratique.
V. RESPECT DES GARANTIES PROCEDURALES DES PERSONNES DETENUES
A. Droit d’être informé des raisons de son arrestation
56. Le droit pour toute personne arrêtée d’être informée des motifs de son arrestation est une garantie procédurale qui ne peut souffrir d’aucune restriction ou limitation, en tout temps et en toutes circonstances. Ce droit est garanti par l’ensemble des instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme, notamment l’article 9, paragraphe 2 du PIDCP.
57. De manière générale, d’après les enquêtes du HCDH, lorsqu’un individu est interpellé et arrêté, bien souvent, il n’est pas informé des motifs de son arrestation. Le HCDH a également constaté une pratique répandue dans les locaux d’OPJ, consistant à garder des personnes pour « vérification », lorsque celles-ci sont dénoncées par des suspects, sans que es motifs de leur arrestation ne leur soient notifiés, et ce, parfois au-delà du délai légal de la garde-à-vue et sans informer le Parquet, en violation de l’article 18 du CPP.
58. Une autre pratique consiste à garder des personnes, civiles ou militaires, dans les locaux des unités de gendarmerie, sans que le motif de leur arrestation ne leur soit signifié. Ces personnes seraient placées en détention, selon les commandants des unités concernées, soit sur instruction de la hiérarchie, soit d’autres unités de gendarmerie ou de l’armée. En décembre 2011, par exemple, cinq hommes, deux militaires et trois civils ont été arrêtés en lien avec une affaire de trafic d’armes, et détenus pendant deux ans à l’escadron mobile N°1 de la gendarmerie de Kaloum, puis transférés à celui N°3 de Matam, sans jamais être présentés à un juge. Cette pratique concerne surtout les détenus appartenant aux forces de défense et de sécurité. Comme précédemment, l’impunité des agents d’exécution reste la tendance dominante.
B. Droit d’être traduit devant un juge dans les plus brefs délais et d’être jugé dans un
délai raisonnable.
59. Le droit à la liberté et à la sûreté soustrait l’individu à l’arbitraire des pouvoirs publics. Il permet à toute personne privée de liberté de faire examiner la légalité de sa détention par un juge dans les plus brefs délais. Ce droit est consacré par le PIDCP en son article 9.
60. Aux termes de l’article 60 du CPP, le délai de garde-à-vue est de 48 heures au maximum, délai qui ne peut être prorogé qu’une fois pour une nouvelle période de 48 heures sur autorisation du Procureur de la République territorialement compétent.
61. Or, le HCDH a constaté que le délai légal des 48 heures est fréquemment violé par les OPJ, policiers comme gendarmes. A titre d’exemple, au Commissariat central de Coyah, les 14 suspects présents lors de la visite du HCDH, en avril 2012, étaient tous en dépassement du délai légal. Le même constat a été fait dans les locaux de garde-à-vue des sept régions administratives du pays et de la région spéciale de Conakry.
62. Le HCDH exprime régulièrement ses préoccupations auprès des commandants des unités concernées et des parquets compétents au sujet des violations de ce droit fondamental. Les OPJ justifient cette pratique par le manque de moyens logistiques pour le transfèrement des suspects au niveau de la justice. A la Brigade territoriale de gendarmerie de Kamsar, par exemple, 9 des 12 suspects visités par le HCDH étaient gardés au-delà du délai légal, dont certains depuis plus d’un mois. Les agents ont déclaré ne pas disposer de moyens pour les mettre à la disposition du parquet de Boké, situé à une distance de 70 km.
63. L’article 9, paragraphe 3 du PIDCP consacre le droit de tout individu d’être jugé dans un délai raisonnable ou d’être remis en liberté. La détention provisoire est prévue par les articles 142 et suivants du CPP. Elle est définie comme étant « une mesure exceptionnelle qui ne doit être ordonnée que si elle apparaît comme absolument indispensable », à la conservation des preuves et indices matériels, à la préservation de l’ordre public, au maintien de l’inculpé à la disposition de la justice, entre autres. Le délai maximal de la détention provisoire est de quatre mois en matière correctionnelle et de six mois en matière criminelle , renouvelable une fois pour la même période, « par Ordonnance spécialement motivée, rendue sur les réquisitions également motivées du Procureur de la République ». La détention provisoire peut être prolongée jusqu’à 24 mois dans le cas de crimes relatifs au trafic des stupéfiants, pédophilie, crime organisé, crime transnational ou atteinte à la sûreté de l’Etat.
64. Le HCDH a constaté un recours quasi-systématique à la détention provisoire de la part des juges d’instruction.
Ce phénomène concerne l’ensemble des régions administratives et des prisons du pays, même si cette pratique est plus courante dans certaines prisons et régions que dans d’autres. Dans les plus grands centres de détention, en l’occurrence les maisons centrales, le nombre de prévenus dépasse largement celui des condamnés. Au moment de la finalisation du rapport, parmi les 1 140 détenus de la Maison centrale de Conakry, 890 étaient en attente de jugement.
65. Du fait que des prévenus ou accusés soient maintenus en détention de manière abusive pendant des mois, voire des années, après l’expiration du délai légal et ce, sans aucun acte de justice, ces détentions revêtent un caractère illégal ou arbitraire. Cette pratique est principalement due à la tenue irrégulière des assises. Celles-ci devraient en principe avoir lieu tous les quatre mois en vertu de l’article 235 du CPP. Or elles se tiennent moins d’une fois par an. Par ailleurs, les affaires pénales sont inscrites au rôle de l’audience de manière arbitraire ou non-objective, sans tenir compte de la durée de la détention provisoire.
La raison invoquée par les autorités est le manque de budget alloué au ministère de la justice pour payer les honoraires des avocats commis d’office pour défendre les accusés qui n’ont pas les moyens de se faire assister par un conseil. Dans les maisons centrales de Conakry de Kindia et de Nzérékoré, le HCDH a rencontré des personnes, y compris des femmes, en détention provisoire depuis plus de cinq ans. A la Maison Centrale de Kankan, un homme soupçonné de vol de moto était en détention provisoire depuis plus de trois ans.
66. Les autorités judiciaires compétentes rencontrées par le HCDH expliquent cette violation des droits des détenus par la faiblesse des ressources financières allouées au ministère de la justice, qui sont inférieures à 0,50 % du budget national (0,39 % pour l’année 2013). En plus de cela, il faudra ajouter que les infrastructures et les ressources humaines dont dispose ledit ministère sont largement en deçà des besoins identifiés dans le domaine pénitentiaire.
67. Par ailleurs, le HCDH n’a pas connaissance de cas de détention arbitraire à la suite desquels les victimes ont obtenu une indemnisation juste et équitable. Les victimes ellesmêmes ne sont souvent pas conscientes du caractère arbitraire de leur détention, du fait qu’elles ne connaissent pas la loi, qu’elles n’ont pas connaissance de leur droits de contester la légalité de leur détention et/ ou du fait qu’elles n’ont pas accès à un avocat ou à une assistance juridique ou judiciaire.
C. Droit à la défense
68. Le respect du droit à la défense fait partie des garanties procédurales fondamentales sans lesquelles un procès ne saurait être qualifié de juste et équitable. Ce droit est consacré par l’article 14, paragraphe 3(d) du PIDCP, l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et l’article 9, alinéas 4 et 5 de la Constitution guinéenne. L’application de ce droit souffre de sérieuses restrictions, aussi bien au cours de l’enquête préliminaire que devant les juridictions guinéennes.
69. En raison de l’insuffisance de service d’aide judiciaire, 90 % des détenus pour des infractions correctionnelles ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat à quelque stade que ce soit de la procédure. La loi n’exige l’assistance obligatoire d’un avocat que pour des infractions criminelles. Or, seuls les accusés ayant les moyens de se payer les services d’un conseil sont réellement défendus, car les avocats commis d’office par l’Etat ne reçoivent les dossiers de leurs clients que très tardivement, souvent le jour même de l’ouverture des audiences.
Le HCDH a ainsi rencontré des personnes condamnées à des peines de réclusion criminelle et à la peine de mort par les cours d’assises de Conakry, Kankan, et Nzérékoré (audience foraine) dont les dossiers n’ont été remis à leurs avocats que dans la salle d’audience, à l’ouverture du procès. Le manque de ressources financières pour le règlement des honoraires des avocats commis d’office est le motif avancé par les autorités.
70. Les atteintes au droit à la défense s’expliquent par plusieurs facteurs dont les principaux sont relatifs à l’indigence des prévenus et accusés, l’insuffisance des services d’aide judiciaire, l’absence de cabinets d’avocat à l’intérieur du pays, et la méconnaissance des détenus de leurs droits et de leurs garanties procédurales.
VI. ACTIONS EN FAVEUR DE L’AMELIORATION DES CONDITIONS JUDICIAIRES ET
DE DETENTION
A. Actions menées par le gouvernement
71. La transition politique entamée en 2010 a porté un gouvernement civil à la tête de l’Etat guinéen. Celui-ci a déclaré à plusieurs reprises son intention de faire de la promotion et la protection des droits de l’homme une de ses priorités, ce qui s’est traduit par des mesures concrètes en faveur des droits de l’homme. Du 28 au 31 Mars 2011, le gouvernement a tenu les états-généraux de la justice, qui ont abouti à la rédaction d’un rapport d’évaluation et à l’élaboration d’un plan de mise en œuvre de recommandations visant à réformer le système judiciaire. Ces recommandations concernent essentiellement le recrutement et la formation des magistrats et auxiliaires de justice, la construction et la rénovation d’infrastructures judiciaires, la mise en place du Conseil supérieur de la Magistrature. Un comité national de pilotage de la réforme du secteur de la justice a été créé en juillet 2011pour mettre en œuvre les recommandations issues des états-généraux de la Justice.
72. Le 3 octobre 2012, le gouvernement a créé un ministère des droits de l’homme et des libertés publiques, et l’année 2013 a été proclamée «Année de la Justice» par le Chef de l’Etat, président du conseil supérieur de la magistrature . Après avoir mis en place le Conseil supérieur de la magistrature, le Chef de l’Etat a signé, le 25 juin 2014, le décret d’application du statut des magistrats de 1991 visant à une grande indépendance de la justice et la responsabilité et «redevabilité» des magistrats envers le Conseil supérieur de la magistrature.
73. Le département de la justice a procédé à l’habilitation de policiers et gendarmes dans les fonctions d’OPJ, ce qui les soumet au contrôle du Parquet contrairement à l’ancienne pratique selon laquelle ceux-ci se considéraient comme relevant uniquement de leur hiérarchie.
74. Afin de remédier au comportement des services de défense et de sécurité, souvent impliqués dans des cas de violations graves des droits de l’homme par le passé, le gouvernement, en collaboration avec ses partenaires internationaux, a entrepris un vaste programme de réforme prévoyant notamment la professionnalisation de la police et de la gendarmerie à travers l’élaboration d’un code de conduite, ainsi que des formations et des sensibilisations à l’intention de ces corps.
En 2012, la Cour d’Assises de Conakry condamnait un gendarme pour actes de torture et mauvais traitement ayant entrainé la mort d’un jeune élève à Kindia .
75. En outre, à Nzérékoré, tous les services de sécurité ont atteint 100 % de respect du délai légal de garde-à-vue en mai 2013, contre une moyenne d’environ 30 % au début de l’année
2013. Cela est dû aux efforts combinés des rappels à l’ordre du Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Nzérékoré, des OPJ, et des visites régulières du HCDH et des ONG de défense des droits de l’homme. Depuis, l’observation d’un plus grand respect du délai de 48h, avoisinant les 100 %, tend à être généralisée dans la ville de Nzérékoré.
76. Un programme de construction et de reconstruction des prisons a été lancé en mai 2012. En février 2013, les travaux de construction d’une nouvelle prison à Coyah et de la clôture de la prison civile de Dubréka ont été lancés. A la date de conclusion de ce rapport, la prison civile de Dubréka est entièrement clôturée et la nouvelle prison de Coyah est en cours de construction. Au niveau de Nzérékoré, les bâtiments abritant le commissariat central de police, la gendarmerie régionale, la compagnie de la gendarmerie territoriale et le bureau du régisseur de la maison centrale ont été détruits pour être remplacés par de nouvelles infrastructures mieux adaptées.
77. Depuis le début de l’année 2013, une amélioration est également constatée au niveau de l’alimentation dans les prisons où un second repas est servi. En outre, le HCDH a visité des cellules de garde-à-vue dans quelques postes de police qui sont en conformité avec les standards internationaux en la matière, notamment celles des Commissariats centraux de Coyah et Kindia en Basse-Guinée, des escadrons de gendarmerie N° 2 et 3 de Conakry et ceux de Kissidougou et Beyla en Guinée forestière.
78. Finalement, afin d’éviter le maintien en garde-à-vue ou l’incarcération des mineurs en conflit avec la loi, certains directeurs ou directrices préfectoraux de l’action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance interviennent afin d’obtenir la libération des mineurs, leur mise à disposition de leur famille ou un accord à l’amiable avec le plaignant.
B. Actions du HCDH
79. Conformément aux termes de son mandat, le HCDH travaille en étroite collaboration avec le gouvernement, les institutions et autres partenaires nationaux et avec des partenaires internationaux sur l’ensemble des questions touchant à la promotion et à la protection des droits de l’homme.
80. Parmi ses activités en matière de protection, le Bureau effectue régulièrement des visites d’inspection dans les lieux de garde-à-vue et les établissements pénitentiaires afin de s’assurer du respect des procédures en matière de détention et du traitement des personnes privées de liberté conformément aux normes et standards internationaux.
Ses visites régulières sont mises à profit pour rappeler aux magistrats et OPJ les obligations de l’Etat en la matière.
81. Le HCDH est aussi particulièrement engagé dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme. Il appuie, depuis l’année 2012, les actions en justice engagées par des victimes et parents de victimes des cas avérés de torture que son personnel a pu vérifier et documenter, et a mené un travail de plaidoyer pour l’adoption de la proposition de loi sur la prévention et la répression de la torture. Une plate-forme d’ONG appuyées par le HCDH a proposé au comité de réforme du code pénal un texte qui reprend la définition de la Convention des Nations Unies sur la torture. Le texte a été intégré par comité dans le projet de révision du code pénal qui sera soumis, après finalisation, par le ministère de la Justice à l’Assemblée
nationale pour adoption.
82. Le Bureau a initié, de mars à décembre 2012, un vaste programme de formation sur les règles de procédures et les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l’intention de tous les intervenants de la chaîne pénale – OPJ, magistrats et personnel pénitentiaire. Il appuie les efforts des autorités et ONG nationales et locales dans les activités de renforcement des capacités, de conseil et d’assistance technique visant à l’amélioration des conditions judiciaires et matérielles de détention.
C. Actions menées par les partenaires nationaux et internationaux
83. L’Union européenne, pleinement impliquée dans la réforme du secteur de la sécurité y compris de la justice, a financé la construction des commissariats de police dans certaines villes de l’intérieur du pays, telles qu’à Pita et Tougué.
84. Des ONG internationales, nationales et locales concourent aussi aux efforts en vue d’améliorer les conditions de détention, à la lutte contre la torture et l’impunité et au respect des procédures en matière de détention. A cet égard, le rôle joué par le CICR, et les ONG nationales les Mêmes Droits pour Tous, et Sabou Guinée doit être salué.
VII. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
85. Les visites régulières dans des lieux de détention sur l’ensemble du territoire guinéen, ont permis au HCDH de comprendre l’acuité de la problématique de la détention dans le pays. Le HCDH a pu observer que le régime de privation de liberté en Guinée ne respecte pas, à plusieurs égards, les règles et standards internationaux et nationaux applicables en matière de détention. Les postes de garde-à-vue et les prisons sont caractérisés par la vétusté et l’exigüité, ainsi que par la surpopulation carcérale, portant atteinte au droit à la dignité des détenus.
86. Dans la plupart des postes de garde-à-vue, les adultes et les mineurs ne sont pas détenus séparément. Il en va ainsi également dans la plupart des prisons du pays où prévenus et condamnés, adultes et mineurs, voire hommes et femmes sont détenus soit dans les mêmes cellules, soit dans les mêmes couloirs ou vérandas.
87. L’application des droits fondamentaux et garanties procédurales, comme le droit au respect de l’intégrité physique et morale, le droit à un avocat au cours d’un procès pénal et le droit de toute personne interpellée d’être traduite devant un juge dans un bref délai et d’être jugée dans un délai raisonnable, souffre de sérieuses restrictions. Le non-respect du délai légal de garde-à-vue et de détention provisoire est quasi-systématique.
88. Le non-respect des droits des personnes privées de liberté résulte des nombreux dysfonctionnements que l’on observe au niveau de l’ensemble de la chaîne pénale à tous les stades de la procédure, au cours de l’enquête préliminaire, de la phase d’instruction, du procès et de l’application de la peine. D’une part, ces dysfonctionnements sont dus en grande partie à des problèmes structurels, notamment à l’insuffisance des moyens humains, logistiques, financiers et infrastructurels. D’autre part, le non-respect des droits des personnes en détention résulte de problèmes conjoncturels, notamment du comportement individuel des responsables chargés de l’application des lois, à savoir des agents et officiers de police judiciaire, des responsables d’unités de la gendarmerie ou de la police, du parquet et du siège, ou du personnel pénitentiaire.
L’insuffisance de contrôle du parquet sur les OPJ, et l’impunité qui caractérise les violations des droits de l’homme encouragent ces comportements. A cela s’ajoute la méconnaissance ou le mépris vis-à-vis des textes régissant les conditions d’interpellation et de détention par certains agents, et les pratiques répandues de corruption et d’extorsion qui gangrènent les services de police et de gendarmerie.
89. Les facilités accordées aux fonctionnaires des droits de l’homme et les discussions qu’ils ont pu avoir avec les autorités politiques, administratives et judiciaires, les responsables chargés de l’application des lois dans les différents services de police et de gendarmerie, et l’administration pénitentiaire des différentes localités visitées, témoignent de la volonté affichée de la majorité des interlocuteurs de s’inscrire dans une dynamique de changement en vue de l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans les lieux de détention.
90. Le HCDH se réjouit de cette fructueuse collaboration avec les autorités guinéennes à tous les niveaux. Il félicite le gouvernement pour l’ensemble des mesures prises en faveur de l’amélioration des conditions judiciaires et de détention des personnes privées de liberté, tant dans les locaux de garde à vue que dans les prisons.
91. En dépit de ces actions, de nombreux efforts doivent encore être fournis pour que les conditions d’arrestation et de détention soient conformes aux normes et standards internationaux en la matière. Afin de renforcer le respect et la protection des droits fondamentaux et des garanties procédurales tels que prévus par les normes et standards internationaux relatifs aux droits des personnes privées de liberté, le Bureau du HCDH recommande les mesures suivantes :
Au gouvernement
– Transposer et traduire les engagements internationaux de la Guinée dans sa législation nationale. A cet égard, adopter une loi spécifique incriminant la torture et réviser le Code pénal afin de criminaliser les actes de torture de manière autonome, en veillant à ce que la définition de la torture soit conforme à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; s’assurer également que les réformes législatives en cours prévoient des sanctions proportionnelles à la gravité des actes de torture et de mauvais traitement commis, et une disposition prévoyant l’inadmissibilité et la nullité absolues de toute déclaration obtenue sous la torture ou la contrainte comme élément de preuve au cours d’une procédure pénale ;
– Prendre toutes les mesures nécessaires afin d’améliorer les conditions de détention conformément aux normes et standards internationaux, tels que l’ensemble des règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus et de lutter contre la surpopulation carcérale ;
– Prendre les mesures appropriées pour que toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements fassent sans délai l’objet d’enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales, y compris par un organe indépendant et impartial, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et, s’ils soient reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnelles à la gravité des faits, et que les victimes ou leurs familles reçoivent une indemnisation et une réparation adéquates ;
Au ministère de la sécurité et de la protection civile et au Haut-Commandement de la gendarmerie nationale, direction de la justice militaire
– Renforcer les capacités des OPJ dans la conduite des enquêtes préliminaires, notamment en ce qui concerne le respect des procédures d’arrestation, d’interrogation et de garde-à-vue ;
– Former les OPJ aux droits fondamentaux et garanties procédurales des personnes privées de liberté, en particulier, à « l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus » et « l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement » ;
– Mettre à la disposition des OPJ des locaux spacieux, éclairés et aérés pouvant permettre de garder séparément hommes, femmes et mineurs et veiller au respect des conditions d’hygiène dans ces locaux ;
– Doter les OPJ des moyens de transport pour la mise à la disposition de la Justice des suspects de manière rapide et sécurisée.
Aux Magistrats
– Veiller à ce que la détention provisoire soit effectivement une exception en privilégiant, à chaque fois que les circonstances le permettent, les mesures alternatives à la détention, telles que le placement sous contrôle judiciaire et la mise à disposition des mineurs à leurs parents ou à des institutions chargées de défendre leurs droits, dans l’attente du jugement ;
– Se conformer aux obligations internationales de l’Etat guinéen dans la lutte contre la torture en veillant à ce qu’aucune déclaration obtenue sous l’effet de la torture ou de mauvais traitement ne puisse être invoquée comme élément de preuve au cours d’un procès pénal tel que prévu à l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Au Ministère d’Etat chargé de la justice, Garde des Sceaux
– Accélérer le programme de rénovation et de construction des prisons en tenant compte de la nécessité de séparation physique entre les différentes catégories de détenus : prévenus et condamnés, hommes, femmes et mineurs ; et veiller au respect de la dignité des prisonniers notamment en ce qui concerne l’hygiène, l’espace, l’aération et l’éclairage ;
– Inviter ou encourager le parquet à renforcer son contrôle sur les actes des OPJ, en ce qui concerne le respect du délai de garde-à-vue, la propreté des locaux, l’interdiction
de la torture et des mauvais traitements, et les pratiques de corruption en le dotant des moyens logistiques, financiers et humains nécessaires, lui permettant de faire des visites régulières des locaux de garde-à-vue et de sanctionner les auteurs de violations des droits de l’homme ;
– Veiller à la régularité des sessions de la Cour d’Assises et des audiences en première instance et en appel pour réduire la durée excessive de la détention provisoire ;
– Mettre en place un service d’aide judiciaire pour assister des suspects, prévenus et accusés indigents dès l’enquête préliminaire et à tous les stades de la procédure afin de rendre effectif le respect du droit à la défense.
Au Ministère de la Santé
– Doter la Direction nationale de l’Administration pénitentiaire de personnel et des médicaments essentiels pour le traitement des détenus, y compris l’accès aux soins spécifiques pour les femmes et les personnes malades.
A la Direction Nationale de l’Administration pénitentiaire
– Former les agents de l’Administration pénitentiaire aux règles et procédures relatives au traitement des détenus telles que prévues dans la législation pénale et à « l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus »,à « l’ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement » et les « Règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes ;
– Lutter contre les pratiques de corruption et d’extorsion pénitentiaires y compris le rançonnement des visiteurs au sein des différents services de police et de gendarmerie ainsi que des établissements pénitentiaires ;
– Doter les prisons de registres dument signés et paraphés à toutes les pages par le procureur de la république ou le juge de paix (article 780 du CPP) permettant de tenir à jour la situation et les mouvements des détenus ;
– Prendre des mesures concernant l’éducation et la réinsertion sociale des détenus, notamment des mineurs : prévoir des activités d’exercices physiques, d’apprentissage de métiers, de prévention du VIH/SIDA et des maladies contagieuses ou infectieuses, de développement culturel et intellectuel ;
– Veiller à ce que les repas fournis aux détenus par les sociétés de sous-traitance soient suffisants en quantité et en qualité ;
– Faciliter les procédures d’extraction des détenus malades pour des soins externes conformément aux avis médicaux ; et veiller à ce que les personnes détenues aient régulièrement accès aux soins médicaux.
Aux partenaires nationaux et internationaux de la Guinée
– Appuyer les efforts du gouvernement dans le cadre de la réforme du secteur de la Justice et de la Sécurité pour un meilleur respect des droits de l’homme dans les lieux de détention.
Liberationinfo.com