Elle a gardé le silence pendant 11 ans avant de décider de sortir de son mutisme pour livrer sa part de vérité. Directrice de l’hôpital national Ignace Deen, le professeur Fatoumata Binta Diallo a été débarquée de ses fonctions suite à l’affaire dite « eau empoisonnée » de militants du RPG Arc-en-ciel dans l’entre-deux-tour de la présidentielle de 2010. Extraits…
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Au commencement

C’était le vendredi 22 octobre 2010 après un meeting du professeur Alpha Condé. Le jeudi, j’étais malade. J’ai pris 48h pour me reposer. Le service des urgences m’a appelé pour me dire qu’ils ont reçu une dizaine de patients dans un état de malaise.

A peine je raccrochais le téléphone, je reçois un autre coup de fil me demandant il y a combien de dépôts de corps à la morgue. Immédiatement, je me suis levée malgré mon état de santé. J’ai dit à cette personne de me donner 10 minutes.

Ignace Deen

J’ai foncé à l’hôpital, je suis allée directement à la morgue où il n’y avait pas de dépôt de corps. J’ai été aux services des urgences, il y avait près d’une vingtaine de patients qui étaient couchés à même le sol. Des journalistes sont venus me trouver aux urgences pour me demander il y a combien de dépôts de corps. J’ai répondu qu’il n’y a pas de dépôt de corps, mais nous n’avons reçu de patients avec des maux de ventre, des malaises (…). J’ai dit qu’il fallait attendre les résultats des analyses pour conclure à un empoisonnement. Lorsque tous les médecins sont arrivés, nous nous sommes concertés et on a dégagé un consensus de prise en charge.

L’arrivée d’Alpha Condé à l’hôpital

Le professeur Alpha Condé a dit qu’il vient voir les patients empoisonnés et hospitalisés. Nous avons fait le tour de l’hôpital. C’était un samedi. J’ai demandé à chaque chef de service ou pavillon de se mettre à la disposition du professeur Alpha Condé pour expliquer la situation clinique des patients.

Deux femmes sont venues vers moi en disant : ‘Voilà la directrice qui a dit que nos enfants n’ont rien et qu’ils ont faim’. Aussitôt, des injures et des coups de poings ont fusé de toutes parts. On m’a cassé deux côtes.

(…) On m’a traitée de partisane parce que je suis peule. C’est ce qui m’a le plus fait mal dans cette histoire. Aucun de mes propos n’est partisan ou susceptible de menacer la paix civile (…). Le 27 octobre, le Premier ministre Jean-Marie Doré a pris une décision pour me limoger pour faute administrative lourde.

Après l’investiture du président, d’habitude, dans le premier décret, on met le gouvernement en place. Les ministres qui sont nommés font leurs propositions de nomination des membres de cabinet. Mais ici, le premier décret, c’est pour me faire sauter.

Pas eu d’empoisonnement

Il y a des choses extraordinaires. Un des patients a dit un jour qu’il a vomi un crapaud. Des charlatans étaient venus dans l’hôpital pour s’occuper de ces patients. Je ne gérais plus rien.

Si j’avais confirmé la thèse de l’empoisonnement, j’aurais été ministre. Je ne vais pas citer de collègues. On voulait que j’affirme qu’il y a eu des morts. Il m’est difficile de dire aujourd’hui à quoi jouait Jean-Marie Doré. Il savait très bien ce qui s’est passé. J’ai refusé de dire qu’il y a eu des morts ou ceci et cela. Je ne suis pas allée dans ce sens parce que j’ai pensé d’abord à la nation. Il n’y a pas eu d’empoisonnement. J’ai tout fait pour éviter l’irréparable.

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