Jerry Rawlings, pour ceux de la nouvelle génération qui ne le connaissent pas, est l’un des rares putschistes de l’époque contemporaine. Il est celui qui a fait du Ghana un modèle de démocratie en Afrique de l’ouest. Physiquement mort en novembre 2020, Rawlings reste éternellement vivant dans les cœurs des Ghanéens et de nombreux Africains. Les années passent, mais ses œuvres demeurent. Il ne parle plus, mais ses paroles continuent d’être prononcées et son exemple toujours cité. Il est sans nul doute la référence des putschistes du moment, mais visiblement dans les paroles mais pas dans les actes.
Les témoignages sur la vie de Jerry Rawlings et sur sa gestion de l’Etat du Ghana, ne finiront jamais tant que l’encre et le papier existeront.
Selon Pierre Jacquemot, « malgré l’allure révolutionnaire qu’elle prit à ses débuts, l’ère Rawlings fut la plus stable du Ghana, depuis l’Indépendance du pays. Elle ne peut être assimilée ni à une démocrature militaire, ni à un pouvoir prédateur. Ce fut autre chose, un genre particulier de populisme kaki virant avec le temps au parlementarisme civil, entre la continuation exaltée de l’œuvre du père fondateur, Kwame Nkrumah, et de sa doctrine, le “consciencisme”, et une rigueur intègre au service d’un projet de démocratie directe. De la spontanéité au service d’une vision à long terme ; et dans sa méthode, une oscillation permanente entre ordre prétorien et légalité démocratique ».
Ce témoignage éloquent est l’expression de l’adéquation profonde entre les mots et les actes du patriote Président Jerry Rawlings. Il donne un sens au discours qui l’a révélé au peuple Ghanéen. Tenez-vous bien, c’était en 1979, lors de son procès pour tentative de coup d’Etat.
Devant une foule compacte et avec une retransmission radio-télé, le jeune pilote de l’armée de l’air du Ghana Jerry Rawlings, est passé de l’accusé à l’accusateur. Après 2 jours d’audience, il est condamné à mort. Mais ce n’est pas cette condamnation que le peuple Ghanéen va retenir, plutôt le discours de Rawlings quand il dit : « Je préviens ceux qui s’aviseraient d’aider les goinfres qui nous exploitent à fuir qu’ils paieront pour eux. Ils seront jugés, châtiés pour les privations qu’ils ont imposées au peuple. Je ne suis pas un expert en économie ou en droit. Mais, pour ce qui est de travailler affamé en se demandant quand et d’où viendra le prochain repas, je suis un expert, croyez-moi. L’heure du jugement est arrivée. Et ce n’est nullement une question de militaires contre civils, d’Akans contre Ewés, ou de Gas contre nordistes, mais de ceux qui possèdent contre ceux qui n’ont rien.
Vingt-deux ans après l’indépendance, vous et moi continuons à cogner nos têtes contre le sort, contre le sol, en croyant que DIEU viendra nous sauver de leurs griffes. Il ne viendra pas si vous ne prenez pas vous-mêmes en main votre propre destin ! La France a tiré son salut d’une révolution. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique, la Chine, l’Iran aussi !
Laissez-moi vous dire que DIEU n’aide pas les gens qui dorment. Ne comptez pas non plus sur les gros messieurs que vous voyez passer dans de belles voitures. Ils ne peuvent pas vous aider, parce que leur ventre est plein ; leurs enfants mangent à leur faim et ils ont les moyens d’aller et venir où ils veulent, comme ils veulent. Mais sachez, vous, dirigeants corrompus, que vous ne continuerez plus longtemps à émasculer notre peuple. Vous paierez ! »
Ce discours d’indignation et de révolte de l’accusé Rawlings, a conquis le cœur des Ghanéens. Alors qu’il devait être exécuté, le soldat patriote a été finalement libéré par des hommes en uniforme pour être désigné Président du Conseil des forces armées révolutionnaires à la tête de l’Etat du Ghana.
Il organise très vite les élections et s’en alla du pouvoir avec espoir que le peuple du Ghana allait enfin retrouver le chemin de la félicité et du salut avec l’élection de Dr. Hilla Limann, mais hélas.
En décembre 1981, Jerry Rawlings s’est vu obligé de reprendre les choses en main. Pourquoi ? Parce que le président Limann n’a pas mené la lutte contre la corruption comme il l’a promis. Rawlings ouvre la voie au multipartisme et à la démocratie dans son pays sans répression, ni restriction ou domination.
Voici donc le vrai visage du putschiste Jerry Rawlings qui a su joindre l’acte à la parole pour redonner la confiance et la dignité au peuple du Ghana. Il était un Président qui menait une vie sobre et il s’est gardé de piquer dans les caisses de l’État.
Il faut dire, que Rawlings a servi le peuple mais il ne s’est jamais servi du peuple. Il vivait les valeurs auxquelles il croyait. Pour lui, servir le peuple dans la simplicité était la chose la plus importante.
Le 12 décembre 2019, lors d’un entretien avec la presse, Jerry Rawlings, alors qu’il répondait à la question pourquoi se promène-t-il dans les rues d’Accra sans garde du corps ? Il déclara ceci : « le pouvoir c’est le peuple et non un individu. En Afrique, les gens s’imposent à leur peuple parce qu’ils ont confisqué le pouvoir qui revient au peuple et non à eux. Ils règnent. Ils s’autorisent tout et n’importe quoi. Ils volent l’argent de leur peuple et ce peuple étant dépouillé de son pouvoir ne peut rien faire et il subit tout. Je n’ai pas cherché à être riche, mais à la fin je suis enrichi de l’amour de mon peuple. Je n’ai pas besoin de me promener avec une sécurité car ma sécurité c’est ce peuple qui m’a vu le servir ».
Malheureusement, Rawlings est mort. Les putschistes du moment qui le citent en exemple, n’ont jamais réussi à faire comme lui.
D’abord, le respect de la parole. Il a redonné au peuple sa dignité, pendant que d’autres continuent de réduire leur peuple à la servitude. Il a servi dans l’exemplarité et a lutté contre les maux qui ont appauvri sa société. Mais les putschistes du moment ont choisi de se servir et vivent dans une opulence ostentatoire.
Jerry Rawlings a choisi d’être dans le cœur des gens plutôt que d’avoir son nom sur un édifice ou sur les grands panneaux comme le font certains putschistes du moment.
Rawlings a appris à son peuple comment se faire entendre alors que d’autres putschistes réduisent leurs peuples au silence.
Il abhorrait le culte de la personnalité, car il estimait que le peuple n’oublie jamais ceux qui l’ont bien servi. Et le peuple ghanéen qu’il avait servi avec dévouement l’aimait tant et si bien que Rawlings n’avait pas besoin de se promener avec des gardes du corps dans les rues d’Accra. Sa sécurité, c’était le peuple ghanéen à la grandeur et à la prospérité duquel il se consacra corps et âme jusqu’à sa mort.
Le vrai Rawlings est mort. Les Rawlings du moment doivent savoir raison garder, arrêter d’abuser de leurs peuples pour éviter la déchéance et la condamnation du tribunal de l’histoire dont le verdict se raconte de générations en générations.
Mamoudou Babila KEITA