Dire que l’atmosphère politique est tendue au sujet de la conduite de la transition relève simplement de l’euphémisme. À moins d’être totalement coupé de la réalité ou de mauvaise foi pour ne pas dire plus, il est difficile soutenir le contraire.
Un groupe de partis politiques et d’organisations de la société civile regroupés au sein des Forces Vives de Guinée (FVG) soulèvent un certain nombre de revendications dont certaines se rapportent à des dossiers pendants de la justice. D’après des informations que l’on peut lire dans la presse, l’une des pierres sur lesquelles achoppent les négociations engagées par les chefs religieux concernent justement les dossiers judiciaires. L’État semble se trouver face à un dilemme : céder sur la revendication du FVG liée à la situation de ce qu’il appelle les détenus politiques en privilégiant ainsi l’apaisement et donner l’image d’une justice aux ordres ou s’en tenir à la stricte indépendance de la justice avec pour effet la radicalisation du FFV.
L’indépendance de la justice est un principe qui doit être défendu en toutes circonstances car c’est l’une des premières garanties d’une bonne justice. Il serait périlleux pour l’État de droit de remettre en cause la règle de la séparation des pouvoirs dont l’indépendance la justice est l’un des corollaires.
Mais l’on enseigne aussi que le Droit n’est pas une fin en soi. L’une de ses finalités est d’instaurer l’ordre et la sécurité au sein de la société afin de favoriser le vivre-ensemble et non le contraire.
L’une des applications pratiques de cette règle qui tombe sous le sens est l’opportunité des poursuites qui est le pouvoir donné au procureur de la République de ne pas engager des poursuites même dans un cas où une infraction a bel et bien été commise, lorsqu’il apparaît que celles-ci sont susceptibles de causer plus de troubles que l’infraction commise. Partant de là, un procureur de la République qui décide de ne pas poursuivre dans le cas de la commission d’une infraction ne commet pas de faute.
Ainsi, lorsqu’il y a une crise politique ou sociale aiguë, le procureur de la République peut user de ce pouvoir dans un souci d’apaisement à travers un classement sans suite qui n’est d’ailleurs pas une mesure définitive ou en requérant, quand cela apparait nécessaire , des mesures qui favorisent le calme.
Dans un procès, le représentant du ministère public peut, sans violer la loi, présenter des « réquisitions d’apaisement » qui, même si elles ne lient pas le juge, peuvent constituer pour ce dernier une sorte de repère dans la prise de sa décision.
Les annales judiciaires sont pleines d’exemples de décisions par lesquelles le juge a contribué à sa façon à calmer les esprits et à faire tomber la tension qui prévalait dans la cité. Et tout cela, sans violer aucun texte de loi. La loi donne le pouvoir au juge de choisir par exemple entre une peine de prison et une peine d’amende. Le choix qu’il opère entre ces deux types de sanctions peut avoir un impact sur les esprits des uns et des autres dans des affaires jugées sensibles.
S’il est anormal d’encourager l’impunité ou l’ingérence dans les affaires judiciaires, il est tout à fait permis à la justice, au regard de certaines dispositions légales, de contribuer au dénouement d’une crise politique ou sociale, sans perdre ni son prestige ni son indépendance vis-à-vis notamment du pouvoir exécutif.
Mais tout cela n’est possible que s’il existe une volonté réelle de sortir de la crise. Et cette volonté devrait se manifester notamment par la tenue d’un procès, s’il fait absolument aller à un procès.
Maître Mohamed Traoré avocat