L’entrée de la Guinée dans la cour des grands des principaux exportateurs miniers à l’échelle mondiale, est une bonne nouvelle qui comporte néanmoins plusieurs risques : dépendance commerciale et surinvestissement dans le secteur extractif aux dépens des autres champs économiques. Pour conjurer ces difficultés, la diversification des partenariats économiques est le premier pas à franchir, en favorisant des acteurs soucieux d’établir des partenariats équilibrés, comme les Emirats arabes unis.
La Guinée Conakry est devenue un acteur minier incontournable grâce à l’augmentation importante de sa production de bauxite, passée de 17 millions de tonnes en 2015 à 100 aujourd’hui. Le pays d’Afrique de l’Ouest détient près de la moitié des réserves mondiales et est devenu le premier producteur mondial de cette roche sédimentaire indispensable à la production d’aluminium, volant la première place du podium à l’Australie. Une performance que peu d’analystes avaient vu venir il y a quelques années encore.
Le projet de Simandou va accentuer cette dynamique. Il va se traduire par la production de 2,4 milliards de tonnes de minerai de fer – l’équivalent de 500 000 tours Eiffel. Le couronnement de la stratégie minière de Conakry. À 800 kilomètres de la capitale et aux confins sud-ouest du pays frontalier du Liberia, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire, le projet devrait aboutir d’ici la fin de l’année. Les ponts et les tunnels du Transguinéen, indispensables à la réussite du projet, sont déjà construits.
L’ambition chinoise
Pour l’heure, l’industrie chinoise absorbe la majeure partie – 85% – des exportations guinéennes de bauxite. L’Empire du Milieu est le deuxième partenaire commercial du pays, aussi bien en ce qui concerne les importations (17%) que les exportations (15%). Cette dépendance est loin d’être sans risque, à l’heure où la Chine connaît une croissance morose de 5,3% au premier trimestre 2024 – le plus bas niveau depuis trois décennies – et où Pékin opère un désengagement prononcé du continent africain. Ce changement de stratégie, acté en 2021 lors du Forum sur la coopération sino-africaine, se fait de plus en plus visible. Le président chinois Xi Jinping l’a réaffirmé en octobre dernier lors du Sommet de la route de la soie, déclarant à cette occasion que son pays allait se concentrer sur des projets « petits et beaux » : 50 millions de dollars au maximum, portés sur le numérique et l’environnement. La Guinée est le 17è pays africain le plus endetté auprès de la Chine, à hauteur de 2,7 milliards de dollars de prêts entre 2000 et 2022. Le risque de surendettement du pays, modéré, reste à surveiller.
Les pays riches en ressources naturelles, tels que la Guinée-Conakry, restent plus prioritaires que les autres aux yeux de Pékin. La Chine a ainsi massivement investi dans le projet Simandou. Mais la diversification des partenariats reste une urgence pour la Guinée, qui risque de tomber dans le piège bien connu de la malédiction des ressources naturelles. Pour la Guinée, l’enjeu est désormais d’inciter les compagnies minières étrangères à construire des raffineries de bauxite sur place afin de favoriser l’industrialisation du pays et un partage équitable des revenus extractifs. Afin d’y parvenir, il est essentiel de ne pas se trouver dans la main d’un seul partenariat commercial. Diversification des partenariats : la clé du succès
Un acteur comme les Émirats arabes unis, qui propose un partenariat plus équilibré que le géant chinois, devient un interlocuteur privilégié des autorités de Conakry. Le pays du Golfe est déjà le 4è partenaire commercial du pays, aussi bien en ce qui concerne les importations que les exportations, avec 8% du total des échanges dans les deux cas. Ce rapprochement peut-être daté de 2013, lorsque le fonds souverain d’Abou Dhabi Mubadala et la compagnie Dubaï Aluminium (Dubal) signent un contrat de 5 milliards de dollars en vue de l’approvisionnement en bauxite de l’industrie de l’aluminium émiratie. En vertu de ce contrat, Guinea Alumina Corp (GAC), une co-entreprise détenue par Mubadala et Dubal, exploite la mine de bauxite de Sangaredi, au nord-ouest du pays.
L’amélioration des infrastructures, essentielle à la consolidation et à la montée en gamme d’une industrie guinéenne, est au cœur du partenariat guinéo-émirati. Abu Dhabi Ports (ADP) assure depuis 2016 la gestion du port de Kamsar, grâce à un investissement initial de 4 milliards de dollars. Un nouveau projet émirati d’investissement est en cours. L’entreprise
Marine Contracting & Infrastructure (MCI), filiale guinéenne du constructeur émirati Ghantoot Group, veut construire un corridor dans le sud du pays. À la clé : plus de 2 milliards de dollars en vue de la réalisation d’un port, d’un chemin de fer et d’une route pour faciliter l’exploitation minière et désenclaver le sud et le centre du pays et désengorger le port de Conakry grâce à l’extension de celui de Konta.
La table ronde du Programme guinéen de référence intérimaire (PRI) 2022-2025, organisée à Dubaï les 15 et 16 février derniers, souligne la volonté d’inscrire le partenariat bilatéral entre Abou Dhabi et Conakry dans la longue durée. Le rapprochement diplomatique en cours se fait donc au nom d’intérêts bien compris, et constitue une nouvelle donne régionale.