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Décès d’opposants en détention : Human Rights Watch demande aux autorités de ”fournir tous les détails pertinents aux familles”

(Nairobi) – Quatre hommes détenus en tant que partisans présumés de l’opposition politique en Guinée sont décédés entre novembre 2020 et janvier 2021, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les quatre hommes faisaient partie des centaines de partisans ou sympathisants présumés de l’opposition arrêtés lors du référendum de mars 2020 et de l’élection présidentielle d’octobre 2020.

Les autorités guinéennes ont imputé ces décès à des maladies ou à des causes naturelles, mais des membres des familles des victimes, leurs avocats et des militants des droits humains ont déclaré que les quatre personnes étaient mortes à la suite de torture ou d’autres mauvais traitements, notamment de mauvaises conditions de détention et du manque d’accès à des soins médicaux adéquats pour de graves problèmes de santé. Le gouvernement guinéen devrait garantir une enquête approfondie, indépendante et transparente sur les circonstances de ces décès.

« Ces décès dans des circonstances suspectes soulèvent de graves préoccupations et devraient faire l’objet d’une enquête rapide et approfondie », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient établir la cause de ces décès, fournir tous les détails pertinents aux familles et poursuivre de manière appropriée tout individu responsable d’actes répréhensibles. »

Entre le 21 janvier et le 7 février 2021, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec neuf membres des familles des victimes, une voisine de l’une d’entre elles, quatre avocats et trois membres d’organisations guinéennes de défense des droits humains. L’organisation a également examiné six photographies révélant des lésions sur le corps de l’une des victimes. Human Rights Watch a écrit au ministre guinéen de la Justice, Mory Doumbouya, le 5 mars, pour partager ses conclusions et demander des informations relatives à des questions spécifiques, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication de ce communiqué.

Roger Bamba, âgé de 40 ans, membre du conseil des jeunes de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition du pays, est décédé le 17 décembre. Le porte-parole du ministre de la Justice a déclaré que la cause de la mort était une cirrhose du foie, mais l’épouse de Bamba a accusé le gouvernement de « crime d’État », affirmant que Bamba n’avait pas reçu les soins médicaux adéquats après être tombé malade pendant sa détention.

Ibrahima Sow, âgé de 62 ans, est décédé un mois plus tôt, le 16 novembre. Les autorités guinéennes ont déclaré que sa mort était liée à un diabète, mais sa famille affirme qu’il est décédé des suites de sa torture en détention.

Le 5 décembre, Lamarana Diallo est décédé à l’âge de 22 ans au domicile de sa sœur, le jour de sa remise en liberté de la Maison centrale de Conakry. Des membres de sa famille et un témoin ont assuré que les gardiens de prison avaient ramené Diallo chez lui dans un état de santé déplorable et qu’il était mort des suites de sa torture en détention, une accusation rejetée par le gouvernement.

Oury Barry, 21 ans, est décédé le 16 janvier. Sa famille et son avocat ont déclaré que sa mort était survenue dans sa cellule et qu’il n’avait pas reçu de soins médicaux appropriés pour les mauvais traitements et la maladie dont il avait souffert en détention, mais les autorités ont soutenu qu’il était mort à l’hôpital de « causes naturelles ».

Quatre proches de trois des victimes ont déclaré à Human Rights Watch avoir été menacés par les autorités pour leur dénonciation des abus que ces trois hommes auraient subis derrière les barreaux. « Depuis que nous avons dit aux médias que mon père avait été torturé en prison, les autorités et les forces de sécurité sont à nos trousses », a confié l’un des proches de Sow. « Des hommes en tenue civile sont venus dans notre quartier poser des questions sur moi et ma famille. Mon frère a quitté le pays de crainte d’être arrêté. J’ai reçu des appels anonymes me demandant de rencontrer un colonel concernant le cas de mon père. J’ai peur. »

Les quatre hommes se trouvaient tous en détention provisoire à la Maison centrale de Conakry, notoire pour ses mauvaises conditions d’incarcération et sa surpopulation : conçue pour 300 détenus, elle en accueille actuellement plus de 1 500.

« La surpopulation est un grave problème dans nos centres de détention », a déclaré à Human Rights Watch l’avocat guinéen des droits humains Thierno Souleymane Baldé. « Elle est causée, entre autres, par le recours généralisé à la détention provisoire. On estime que 60% des prisonniers en Guinée font l’objet d’une détention provisoire prolongée. »

La principale prison de Conakry regorge de centaines de membres de l’opposition et de sympathisants arrêtés par les forces de sécurité au moment de la tenue du référendum constitutionnel de mars 2020 et des élections présidentielles d’octobre 2020. « Les gens sont entassés dans des conditions inhumaines et la hausse du nombre de morts est une conséquence prévisible », a constaté un avocat guinéen des droits humains représentant plusieurs détenus politiques.

Selon les médias guinéens, le 7 février, Mamadou Aliou Diaby, un détenu sourd et muet de la Maison centrale de Conakry, avait été retrouvé pendu, un drap noué autour du coup, et le 31 janvier, le corps de la cheffe cuisinière de la Maison centrale de Conakry, Mamadou Hawa Baldé, a été retrouvé sans vie dans un débarras de la prison. Les autorités ont promis de procéder à son autopsie pour établir les circonstances de sa mort, mais toujours selon les médias, Baldé fut inhumée le 1er février sans que ce fût le cas. Les autorités n’ont pas fait de déclaration publique au sujet de la mort de Diaby.

Human Rights Watch documente depuis des années les mauvaises conditions de détention à travers toute la Guinée, ainsi que les arrestations arbitraires, détentions, poursuites judiciairesmeurtresdisparitions forcées, menaces, harcèlement et intimidation dont sont victimes opposants et critiques du gouvernement.

Le 19 janvier, l’ambassade des États-Unis en Guinée s’est dite préoccupée par « les retards pris par les garanties de procédure régulière et le ciblage de l’opposition politique par le gouvernement », déclarant que la mort en détention de membres de l’opposition « remettait en question l’attachement de la Guinée à l’état de droit ». Le 21 janvier, l’Union européenne a exhorté les autorités à ouvrir des enquêtes sur la mort d’opposants politiques en détention et à rendre justice. Cet appel a été réitéré le 27 janvier par le ministre français des Affaires étrangères, qui a demandé aux autorités guinéennes de « faire la lumière » sur les décès survenus en détention, agitant la menace de « mesures » à l’encontre de Conakry.

Le 8 février, des membres de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH) se sont vus refuser l’accès à la Maison centrale de Conakry. « Les autorités pénitentiaires ont dit qu’une autorisation était nécessaire, mais les détenus ont le droit de recevoir des visites », a rappelé un représentant de l’OGDH à Human Rights Watch.

En vertu du droit national et international, notamment les Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique de 2014 (« Lignes directrices Luanda »), adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, les autorités guinéennes sont tenues de fournir aux détenus les mêmes soins de santé qu’aux personnes en liberté et, selon les normes internationales, la détention provisoire ne devrait être utilisée qu’en dernier recours. En vertu du droit international des droits humains, les autorités guinéennes ont l’obligation de mener une enquête crédible, approfondie et indépendante et de rendre compte de tout décès survenu en détention. Elle devrait identifier toute personne responsable si le décès était dû à une négligence ou à une action illégale et devrait conduire à des poursuites. L’absence d’enquêtes et de poursuites contre les responsables constituerait une violation des obligations de la Guinée de protéger les personnes contre la privation arbitraire de la vie et de fournir un recours utile.

Human Rights Watch a appelé l’ONU et l’Union africaine, y compris le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Rapporteur spécial de l’UA sur les prisons et les conditions de détention, à fournir une assistance technique et autre dans le cadre de l’enquête guinéenne, ou de mener leurs propres enquêtes si les autorités guinéennes n’agissent pas.

« La mort en détention de quatre prisonniers politiques en seulement deux mois montre que la santé et la sécurité des prisonniers sont gravement menacées en Guinée », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités guinéennes, avec le soutien de partenaires internationaux, devraient enquêter de toute urgence sur les décès récents de prisonniers et remettre en liberté tous ceux qui sont détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits garantis par la Constitution à manifestement pacifiquement et à s’exprimer politiquement. » (…) lire la suite du texte sur hrw en cliquant ici