Le président de la République de Guinée, Alpha Condé, réélu pour un troisième mandat à la tête du pays après un processus controversé, est l’invité de RFI. Le chef de l’État s’exprime notamment sur les critiques portant sur le processus électoral, les nombreuses victimes enregistrées en marge des manifestations, les arrestations de plusieurs membres de l’opposition mais aussi sur l’actualité internationale.

 

Rfi: La Cour constitutionnelle a validé et confirmé votre victoire à l’élection présidentielle, dès le premier  tour, au terme d’un scrutin qui a été contesté par l’opposition et aussi par une partie de la communauté internationale. Est-ce que cette victoire ne risque pas de souffrir d’un déficit de légitimité ?

Alpha Condé: Quand j’étais président de l’Union africaine, j’ai dit que les questions africaines devaient être réglées par les Africains. Donc, pour moi, l’élection c’est la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest] et l’Union africaine. Les deux ont dit qu’il s’agit d’une des élections les mieux organisées. C’est cela qui compte pour moi.

Cette victoire, c’est aussi l’aboutissement d’un long processus qui a commencé avec l’adoption d’une nouvelle Constitution et au cours de laquelle, il y a eu des dizaines de Guinéens qui ont perdu la vie, des manifestants mais aussi des membres des forces de défense et de sécurité. Si c’était à refaire, feriez-vous autrement ?

Les événements ne dépendent pas d’une seule personne. Je fais remarquer que j’étais toujours contre la violence. Là, j’ai une opposition formée par les anciens Premiers ministres qui pensent qu’il faut s’imposer par la force. Si je devais refaire le référendum, je le ferais parce que ce qui compte, c’est que le peuple se détermine.

« Il n’y aura plus de pagaille en Guinée, nous allons mettre de l’ordre », ce sont vos mots. Est-ce qu’il y a un lien avec les différentes arrestations qui ont eu lieu récemment concernant des membres de l‘opposition ?

Non, et il n’y a pas de chasse aux sorcières en Guinée. Personne n’est ciblé, sauf les gens qui sont accusés d’avoir commandité. Puisque nous avons arrêté les gens, c’est à la justice de trancher. La pagaille, ce n’est pas seulement la pagaille dans les rues. La pagaille, c’est le banditisme. La pagaille, c’est le coupeur de routes, etc… La pagaille, c’est de prendre le peuple en otage.

Des biens publics et des biens privés qui ont été cassés. Il y a eu des morts. Il est important qu’il n’y ait plus d’impunité, que ce soit du côté des partis politiques ou des forces de l’ordre parce que la pagaille, ce sont aussi des policiers qui arrêtent les gens et les rançonnent. Toute personne, qu’il soit ministre ou Premier ministre, président ou simple citoyen qui viole la loi doit répondre devant la justice. C’est tout.

Votre principal adversaire, lors de de scrutin, Cellou Dalein Diallo, continue de dire que c’est lui qui a gagné l’élection. Est-ce que vous avez un message à lui adresser ?

Je n’ai pas un message à lui adresser. Moi, je m’adresse au peuple de Guinée, je ne m’adresse pas à un individu.

Vous-même, en 2010, vous vous étiez déjà déclaré vainqueur avant les résultats officiels…

Non, moi j’ai été déclaré vainqueur. C’est quand la Céni a donné les résultats que mon parti a réagi.

Toujours au sujet de l’opposition, les deux principaux partis, l’UFDG et l’UFR notamment, n’ont plus de sièges à l’Assemblée nationale. Quelle sera leur place désormais ?

D’abord l’UFR n’existe plus. L’UFR a complètement éclaté. Une bonne partie de ses militants est représentée au Parlement. Je n’ai pas empêché l’UFDG d’aller aux élections. Donc, chacun assume son choix. S’ils ont choisi de ne pas aller au Parlement, c’est leur choix. Moi, je n’ai pas à m’en occuper. L’essentiel, c’est que l’État fonctionne.

Depuis 2011, l’UFDG est dans une posture de violence. Vous n’avez qu’à revoir l’histoire de la Guinée.  Nous, nous avons été opposants : Ba Mamadou a été opposant, Siradiou [Diallo] a été opposant, Jean-Marie [Doré] a été opposant. Il n’y a jamais eu de violence.

Vous avez déclaré que ce nouveau mandat sera différent des autres. En quoi ?

Je veux maintenant que l’on gouverne pour le peuple. J’estime que je n’ai pas réussi ce que je voulais, c’est-à-dire transformer les conditions de vie des femmes et des hommes, à cause des cadres. Je serai impitoyable. Cela veut dire que je ne tolérerai plus ni corruption ni copinage ni népotisme. Mon objectif, ce sont les routes et l’amélioration des conditions de vie des populations, particulièrement des femmes, des jeunes et des gens de la campagne. Il ne s’agit plus que l’argent soit utilisé par les cadres mais que l’argent serve les populations.

Est-ce que vous pensez déjà à la suite, après ce mandat ?

Pour le moment, la question qui se pose à moi c’est: qu’est-ce que je vais faire pendant ces six ans ?  Est-ce que je vais réussir ce que je veux, c’est-à-dire changer les conditions de vie du peuple ? C’est simplement la question qui se pose à moi.

Vous avez été, au cours de votre vie, jeune révolutionnaire, président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), opposant historique, combattant de la démocratie, président de la République, président de l’Union africaine. Qu’aimeriez-vous que l’histoire retienne, en premier, de vous ?

[Rires]. Vous savez, le président Alassane [Ouattara] a l’habitude de dire, quand nous sommes réunis entre chefs d’Etat : « Est-ce que vous savez qu’Alpha est plus fier de son titre d’ancien président de la FEANF que du titre de président de la République ? ». Boni Yayi me disait tout le temps: « Alpha, tu es président. Tu n’es plus opposant, tu n’es plus étudiant ».

Je pense que ma plus grande fierté, c’est d’avoir été président de la Fédération du centre d’Afrique noire en France qui avait comme ambition l’indépendance politique, l’indépendance économique de l’Afrique.

Et deuxièmement, quand j’étais à l’Union africaine, d’avoir amené l’Union africaine à être indépendante au point de vue de son financement parce que lorsque vous êtes financé par l’extérieur, vous n’êtes pas autonome.

D’autre part, dire que l’Afrique doit parler d’une seule voix et que les problèmes africains doivent être réglés par des Africains.

Troisièmement, si je réussis à transformer les conditions de vie des personnes les plus défavorisées en Guinée, j’estimerai que j’ai accompli mon destin.

Certains observateurs ont trouvé que ce nouveau mandat que vous venez d’obtenir pouvait être en contradiction avec ce parcours. J’imagine que vous avez dû avoir cette discussion avec d’autres personnes. Qu’est-ce que vous leur avez répondu ?

Dans mon parcours, je n’ai jamais dit que la démocratie, c’est la limitation des mandats. Lorsque le président Hollande a critiqué Sassou [Nguesso], j’ai dit « Hollande, tu te trompes. Les conférences nationales ont été faites dans des conditions particulières. Ce n’est pas un principe intangible ».

Le président Diouf [Abdou] a été président 18 ans. Personne n’a dit qu’il n’était pas démocrate. A Londres, le Premier ministre qui est élu peut rester 20 ans ou 25. La même chose en Allemagne. Donc, j’estime que je suis resté fidèle à mes idées.

Les gens qui parlent de limitation des mandats, ce sont les mêmes qui soutiennent ceux qui ont 4, 5 mandats. En réalité, ils critiquent lorsque le président n’est pas à leur service. Quand le président est à leur service, il peut faire 20 mandats.

C’est l’actualité internationale, Joe Biden devrait être le prochain président des Etats-Unis. Qu’est-ce que vous attendrez de lui ?

Joe Biden sera d’abord président des Etats-Unis pour régler les problèmes des Etats-Unis. Maintenant, les Etats-Unis sont la première puissance mondiale. Donc, je souhaite que le président élu ait une vue plus favorable à l’Afrique, particulièrement en ce qui concerne les investissements. Je disais aux Américains: qu’est-ce qui vous empêche de faire comme la Chine? La Chine a Exim Bank qui accompagne les entreprises chinoises. J’ai dit aux Etats-Unis, à Washington, pourquoi vous ne feriez-vous pas la même chose au lieu de critiquer: « C’est la Chine, c’est la Chine… il faut faire comme eux « .