Comme beaucoup d’autres guinéens soucieux du devenir de notre pays, nous suivons avec attention l’évolution des travaux de négociations entre nos vaillants syndicalistes et les autorités du pays. A titre de rappel, les syndicalistes revendiquent une augmentation des salaires pour les fonctionnaires et cela depuis quelque temps, chose qui est normale. Par ailleurs, en ce qui nous concerne, nous restons sur notre faim surtout qu’à notre humble avis, une augmentation du salaire nominal n’a jamais résolu le problème dans ce pays.
D’entrée de jeu, il faut savoir que, l’augmentation des salaires aura un impact positif sur la consommation des ménages (nonobstant la faiblesse des revenus en Guinée, nous faisons abstraction de l’augmentation de l’épargne et du PIB (Produit Intérieur Brut)). De plus, la hausse de la consommation entraîne à son tour plus d’entrée de TVA. De l’autre côté, plus de salaires, c’est plus d’impôts sur le revenu et cotisations sociales. Ainsi la hausse des rentrées fiscales et sociales donne alors des marges de manœuvre à l’Etat pour se désendetter et/ou pour financer la croissance des dépenses publiques : transferts sociaux qui soutiennent la consommation des ménages (cas de l’AGNIES d’alors), création d’emplois publics et investissement public qui permet notamment de rendre l’environnement plus favorable à l’offre : infrastructures, éducation, recherche fondamentale qui sont autant de sources de productivité supplémentaire. La hausse de la demande publique qui en résulte participe à son tour à la croissance du PIB.
Cette petite démonstration ne signifie point que nous sommes opposés à une augmentation des salaires des fonctionnaires, mais, les syndicalistes qui portent ce projet très haut doivent savoir qu’ils contribueront significativement à l’enrichissement de l’Etat à travers un tel projet. Une telle situation saura expliquer rapidement l’un des moyens à travers lesquels d’ailleurs, l’Etat saura rembourser son emprunt de 5 000 milliards auprès du système bancaire (opération qui a fait couler tant d’encre et de salive).
De plus, nous pensons qu’une rémunération excessive du secteur public, facteur de distorsions à l’échelle de l’économie, rend le pays moins compétitif et entraîne une croissance économique plus lente et une inflation élevée. De plus, une telle initiative poussera également les employeurs privés à augmenter les salaires, mais d’une manière qui n’est pas soutenable au regard des niveaux sous-jacents de productivité. Mais lorsque les pressions budgétaires forcent les responsables politiques à freiner les rémunérations excessives des fonctionnaires, cela permet au secteur privé d’avoir des niveaux de salaire compatibles avec une croissance soutenable à long terme.
De la prise en compte du pouvoir d’achat avant la conclusion du protocole d’accord.
Par ailleurs, avant de signer le protocole d’accord, nos vaillants syndicalistes devront mettre un accent particulier sur le pouvoir d’achat du salaire qui sera obtenu au lieu de se contenter comme à l’accoutumée d’un salaire nominal. Car, c’est l’effritement du pouvoir d’achat des ménages qui ont conduit souvent à des telles négociations.
Pour faciliter la compréhension de nos lecteurs (la majorité n’étant pas économiste vu le choix du canal de diffusion de ce papier qui sera accessible à tout le monde) nous allons partir des exemples simples et pratiques afin d’éclairer la lanterne des délégations syndicales qui se penche sur le sujet afin de leur permettre de procéder à la correction de la perte du pouvoir d’achat en leur exposant la méthode de calcul standard élaborée pour la circonstance.
D’entrée de jeu, il convient de souligner que la plupart des agents économiques estiment de manière simple que lorsque leur revenu augmente de 5% et que celle de l’inflation de 2%, leur pouvoir d’achat a progressé de 3%. Par ailleurs, malgré le fait que cette méthode de calcul soit plus ou moins acceptable, elle comporte toutefois beaucoup de limites car faire une simple soustraction entre l’évolution des revenus et l’inflation ne donne qu’un résultat approximatif de la hausse du pouvoir d’achat. Qu’appelle-t-on pouvoir d’achat ?
Le pouvoir d’achat correspond à la quantité de bien pouvant être achetée avec un revenu donné. Par exemple, avec GNF 300 000 en poche, on peut acheter un sac de riz de 50 kg ce jour en raison de GNF 6 000 le kg. Calculer l’évolution du pouvoir d’achat revient dans ce cas à déterminer l’évolution des volumes de biens pouvant être acquis, en fonction de la variation des revenus des agents économiques et des prix. En reprenant le même exemple, imaginons que le revenu disponible augmente de 10% pour atteindre 330 000 mais que le prix du kilogramme de riz n’augmente que de GNF 2 000 pour se chiffrer à GNF 8 000 (+33%), on ne peut plus acheter que 41 kg de riz (330 000/8000). Autrement dit, le pouvoir d’achat en riz a reculé de 22% (de 50 kg à 41kg). On le voit clairement ici : faire la différence entre la hausse des revenus (+10%) et l’inflation (+ 33%) ne donne pas le même résultat puisque la soustraction aboutit dans notre exemple à une baisse de pouvoir d’achat de 23%.
De l’utilisation de la bonne formule : cas du gain du pouvoir d’achat.
L’évaluation avec précision du gain ou de la perte de pouvoir d’achat, revient à mesurer le rapport entre l’évolution des revenus et l’évolution des prix. Pour ce faire, la formule à utiliser est la suivante : Gain/Perte du pouvoir d’achat = [(1+r) /(1+i)] – 1 avec r étant le taux de croissance du revenu et i l’inflation. Lorsque la croissance des revenus et l’inflation restent voisines de 0 ou sont très faibles, la soustraction [r-i] donne effectivement un résultat assez proche. Avec les 5% de hausse des revenus que nous avons illustré à l’introduction, et 2% d’inflation, le gain réel de pouvoir d’achat est de 2,94% (soit quasiment les 3% obtenus par soustraction).
En revanche, lorsque les valeurs s’accroissent (ce qui est le cas sur une longue période), les écarts deviennent flagrants. Par exemple, lorsque le revenu augmente de 50% et que les prix progressent de 20%, le gain réel de pouvoir d’achat ne sera pas de 30% mais plutôt de 25%.
De la perte du pouvoir d’achat suite à une stabilité du revenu :
Pour calculer la perte du pouvoir d’achat, le même raisonnement que nous avons utilisé jusque-là peut s’appliquer. L’exemple le plus édifiant consiste à poser comme hypothèse une stagnation des revenus combinée avec un doublement des prix (100% d’inflation). Faire dans ce cas la soustraction entre l’évolution des revenus (0%) et l’inflation (-100%) conduirait à conclure tout simplement que le pouvoir d’achat a été réduit de 100%. Or, si les prix doublent, le pouvoir d’achat baissera réellement de 50% (1+0/1+1) -1=0,5%100 ce qui donne les -50%). Ce qui veut dire que les agents économiques pourront acheter deux fois moins de produits.
Au terme de cette analyse, nous devrions souligner que ce papier ne prétend, en aucun cas, remettre en cause les combats qui sont menés depuis plusieurs années par les acteurs à plusieurs niveaux, plus particulièrement les divers combats menés par les délégations syndicales de ce pays dans le souci de défendre l’intérêt des travailleurs. Mais, elle se veut tout simplement une contribution à l’avancement de la recherche sur le mode de correction de la perte du pouvoir d’achat occasionnée par l’inflation dans le contexte l’économie guinéenne.
En somme, cette petite analyse n’a pas pour ambition la remise en cause les fondements théoriques de la macroéconomie, plus particulièrement les diverses théories traitant la question salariale. Elle ne prétend non plus remettre en cause la bataille menée par les vaillants syndicalistes guinéens dans le cadre du respect de leurs droits légaux que nous soutenons avec fermeté en tant qu’économiste. Mais, elle se veut tout simplement une contribution à l’avancement de notre cher Guinée dans son combat vers un développement durable.
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Safayiou DIALLO
Economiste