Aussitôt son décès annoncé, le défunt président du Tchad, Idriss Déby Itno, est remplacé par son fils. Un coup de force qu’on pourrait qualifier de « soft », si l’on sait que le Tchad dispose d’institutions républicaines, pouvant organiser la transition dans les règles de l’art. Comme un troisième larron, Mahamat Déby s’empare du pouvoir qu’il gère à travers la mise en place d’un conseil militaire, ramant à contre-courant des principes démocratiques. Cette succession du père par le fils remet au goût du jour la lancinante question de la patrimonialisation du pouvoir en Afrique où, très souvent, les fils sont préparés pour succéder à leurs paters.
Un conseil militaire de transition vient mettre entre parenthèses la marche démocratique du Tchad, après le décès de son président, Idriss Déby. Après 30 ans de pouvoir, le défunt président vient de tirer sa révérence, quelques heures après une énième réélection. Chef de guerre réputé, l’homme était intronisé Maréchal, le 11 août dernier, comme pour asseoir un plus grand contrôle de son pays qu’il dirige sans partage. Son leadership sur le plan régional, avec des troupes qui s’engagent sur plusieurs fronts en Afrique, notamment au Sahel où son pays faisait partie des membres du G5, occulte clairement les dérives démocratiques notées sous son règne. Idriss Déby Itno, grâce à sa contribution à la lutte contre le terrorisme, continuait malgré tout de bénéficier du soutien des chantres de l’Etat de droit dont le président français, Emmanuel Macron.
Son remplacement par son fils vient perpétuer la patrimonialisation du pouvoir en Afrique. Même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un conseil militaire destiné à organiser une transition dans des délais déterminés, l’avenir peut être facilement appréhendé, au vu du passé de ce pays qui n’a jamais connu de transition démocratique. Depuis le président François Tombalbaye, presque tous les présidents qui se sont succédé à la tête du pays l’ont été à la faveur de coups d’Etat. Aujourd’hui, ce n’est pas un coup d’Etat à proprement parler qui vient mettre fin au règne d’Idriss Déby Itno, tombeur de Hissène Habré, en 1990. Mais la question successorale remet en cause les principes fondamentaux de l’Etat de droit.
Le scénario du Tchad, de ce jour, rappelle à bien des égards celui de beaucoup d’autres pays en Afriqu e. Les fils continuent de succéder à leurs pères, narguant les principes qui fondent la République. En 2001, la même histoire s’écrivait au Congo après qu’est survenue la mort du président Laurent-Désiré Kabila. Automatiquement après l’annonce de la disparition de son père, Joseph Kabila, général-major à l’époque, s’empara du pouvoir. Comme Mahamat Déby, qui a été jusqu’à aujourd’hui à la tête de la garde présidentielle, le fils de Kabila était aussi préparé à la succession de son père, avec à sa charge la redoutable direction de l’action gouvernementale et le haut commandement militaire de la RDC. C’est donc tout naturellement que les deux fils de présidents, vu leur stratégique position, vont accéder au pouvoir sans passer par des élections.
Cette dévolution monarchique du pouvoir s’est étendue jusqu’au Gabon avec le remplacement du père par le fils en 2009. Comme ses acolytes, fils de chefs d’Etat, Aly Bongo a été placé sur un piédestal avec comme fonction le poste très stratégique de ministre de la défense entre 1999 et 2009. La même chose sera tentée par Abdoulaye Wade pour son fils Karim Wade, superpuissant ministre, mais son projet sera bloqué par les Sénégalais à l’issue de violentes manifestations le 23 juin 2011. En Guinée équatoriale, la question reste de la patrimonialisation du pouvoir reste actuelle avec la mise en œuvre de tout un système pour aider le fils Théodorin Obiang à accéder au pouvoir. Pour y arriver, il est pistonné vice-président de la Guinée équatoriale par son octogénaire père et président.
Cette façon assez facile de conquérir le pouvoir, à travers des combines et complots antidémocratiques au lieu d’un passage aux urnes, est érigée en modus operandi dans beaucoup de pays africains. Acquis dans l’illicéité totale, le pouvoir entre les mains des nouveaux hommes forts devient une menace réelle pour leurs peuples. En témoigne la première décision de Mahamat Déby, dès la prise du pouvoir, et consistant à dissoudre les institutions légalement choisies.
Par Ababacar Gaye/SeneNews