Monsieur le Premier Ministre,

Je vous écris ces mots aujourd’hui avec un profond sentiment de tristesse, pour vous rappeler vos engagements politiques et votre combat pour la défense des droits de l’homme dans notre pays, engagements que vous avez porté avec force depuis les années 90. À cette époque, vous étiez un activiste déterminé, entré en politique par la voie des droits de l’homme, avec un discours structuré répondant aux aspirations de justice et d’équité. Cependant, aujourd’hui, nombreux sont les Guinéens qui ne vous reconnaissent plus.

Vos discours, jadis porteurs d’espoir pour nos concitoyens, sont désormais empreints d’amertume, inaudibles, et trop souvent insultants envers vos anciens camarades. Je pense à des figures comme feu Docteur Thierno Madjou Sow, ancien président de l’OGDH, Lamine Diallo, membre fondateur de l’UFDG, ou Professeur Alpha Sow fondateur de l’UFD qui a d’ailleurs laissé entendre dès 1993 que vous étiez une taupe du régime du général Lansana conte au sein de l’opposition.
Votre soutien au régime de Alpha Conde après notre retour d’exil en 2016 qui a scellé notre rupture, confirme cette accusation de trahison du professeur Alpha Sow et ses amis.
Que s’est-il passé ?
Où est l’homme dont les mots inspiraient et galvanisaient les foules en quête de liberté et de droits fondamentaux ?

Monsieur le Premier Ministre, je vous exhorte de vous souvenir.
Souvenez-vous de nos nombreux échanges sur les violations des droits de l’homme dans notre pays.
Souvenez-vous de nos discussions sur les dérives des régimes autoritaires, similaires à celui que vous soutenez aujourd’hui avec un zèle inquiétant.
Rappelez-vous notre opposition unanime à la candidature du Capitaine Moussa Dadis Camara, qui a abouti au tragique massacre du 28 septembre 2009, où des femmes furent violées, et des centaines de Guinéens furent tués ou portés disparus.

N’oubliez pas non plus notre lutte contre le régime répressif d’Alpha Condé, responsable de la mort de nombreux jeunes souvent de l’âge de vos propres enfants, abattus pour avoir simplement exercé leur droit à manifester.
Pouvez-vous honnêtement effacer ces souvenirs en soutenant aujourd’hui avec autant d’ardeur le régime du putschiste Mamady Doumbouya ? Un régime qui a dépassé toutes les limites en matière de violations des droits de l’homme?
Pouvez-vous dormir la conscience tranquille, sachant que ces âmes reposent sur la mémoire collective de notre nation, et surtout sur la vôtre, vous qui avez présidé l’organisation des manifestations du 28 septembre 2009?

Que diront ces nombreuses femmes violées lors des événements du 28 septembre 2009, les familles des centaines de victimes tuées ou portées disparues ? Que penseront nos compatriotes de la région forestière, qui ne comprendront pas que vous ayez refusé au Capitaine Moussa Dadis Camara, ce que vous acceptez aujourd’hui pour Mamady Doumbouya ?

Monsieur Bah Oury, vous risquez de devenir l’acteur politique qui aura déçu le plus grand nombre de guinéens, trahissant les idéaux pour lesquels nous avons tous risqué nos vies.
Il est encore temps de revenir sur vos positions.
Il est encore temps de renoncer à votre soutien à Mamady Doumbouya, un chef militaire qui incarne tout ce contre quoi nous avons lutté ensemble. Si vous renoncez à ce soutien, vous pourrez regarder vos enfants et votre épouse avec la dignité d’un homme ayant fait le bon choix au moment crucial. Dans le cas contraire, vous aurez à répondre, non seulement devant Dieu, mais aussi devant l’Histoire, pour cette trahison de la mémoire de tous ces Guinéens qui ont cru en vous, et qui ont parfois risqué leur vie en descendant dans les rues à votre appel comme le 28 septembre 2009.

Je ne conclurai pas cette lettre sans exprimer l’immense déception que je partage avec tant d’autres. Cette déception est surtout celle de vos compagnons de lutte, ceux qui vous ont soutenu pendant plus de 30 ans, et qui, malgré les épreuves, croyaient en votre intégrité. Aujourd’hui, tout cela semble n’être qu’une désillusion.

Monsieur Bah Oury, il est encore temps de vous ressaisir et de revenir à l’essence même du combat que nous avons mené ensemble et que nous continuons à mener, malgré votre absence. Notre lutte pour la justice, les droits de l’homme, et la dignité du peuple guinéen ne s’arrêtera pas, que vous y participiez ou non. Ce combat, qui semble aujourd’hui trahi par vos actions, ne doit pas être réduit à un slogan vide ou à des manœuvres politiques opportunistes.

En espérant des réponses à ces interpellations, non pas pour moi personnellement, mais pour toutes les victimes de ce long chemin vers la liberté, pour leurs familles, ainsi que pour vos anciens compagnons qui, comme moi, se sentent trahis.

Comme le dit si bien le proverbe : « À beau chasser le naturel, il revient toujours au galop. »

Je vous adresse mes salutations sincères.

Saliou Diallo
Un ancien compagnon de lutte